Prix et récompenses :
Prix Andreï Wajda de la liberté au Festival de Berlin, 2003
Prix pour sa contribution au développement du cinéma au Festival de Locarno, 2007
Prix Robert Bresson pour son apport l'art au Festival de Venise, 2007
L'Arche russe : Prix au Festival de Toronto, 2002
Prix du meilleur film au Festival "Vivat Kino Rossii" à Saint-Petersbourg, 2003
Mention spéciale au Festival de San Francisco,2003
Mère et Fils : Prix spécial du Jury Oecuménique à Berlin, 1997
Prix de la Confédération internationale des arts cinématographiques, 1997
Prix Andreï Tarkovski, 1997
Grand prix spécial du Saint-George d’argent pour « la contribution à l’élargissement des frontières de l’art du cinéma », 1998
Prix du cavalier de bronze de Lenfilm, 1998
Réalisateur de films et de documentaires, scénariste, Aleksandr Sokourov est né le 14 juin 1951 dans le village Podovikha de la région d'Irkoutsk. Il suit son père, militaire en Pologne, au Turkmenistan puis arrive à Gorki. Il y fait ses études à la faculté d’histoire de l'Université d'Etat tout en travaillant à la télévision locale. Il part ensuite à Moscou où il entre au VGIK, l'Institut National de la Cinématographie (atelier d'A. Zgouridi). Il y obtient en 1979 le diplôme de réalisateur.
Son premier métrage, La Voix solitaire d'un homme, réalisé alors qu'il était encore au VGIK ne sera distribué qu'à partir de 1987. A partir de 1982, il vit et travaille à Saint-Petersbourg où il acquiert rapidement une place de premier plan parmi les réalisateurs de documentaires. Mais aussi bien ses films que ses documentaires, peu conformistes, sont difficilement diffusés. Souvent considéré comme l'héritier spirituel de Tarkovski, Alexandre Sokourov sera reconnu sur le plan international avant de l'être dans son propre pays. Cependant en 1996 il obtient en Russie le "bélier d'or" du meilleur réalisateur. En 1997 il est lauréat du Prix d'État de la Russie. En 1998 il a le prix du Vatican (prix du troisième millénaire). Plusieurs de ses films ont eu des prix lors de festivals internationaux. L'Académie Européenne du Cinéma a inclus le nom d'Aleksandr Sokourov dans la liste des 100 meilleurs réalisateurs.
« Je suis né au cours de l’été 1951 à Podorvikha, un petit village de
Sibérie orientale, près du Lac Baïkal, depuis noyé sous les eaux,
submergé par la construction d’un énorme bassin artificiel et
l’implantation d’une usine hydroélectrique.
J’ai commencé à étudier l’Histoire à l’université de Gorki (aujourd’hui
Nijni Novgorod) en 1968, tout en travaillant en tant qu’assistant de
réalisation à la télévision locale. Après avoir obtenu mon diplôme en
Histoire, je suis entré au VGIK, l’école de cinéma de Moscou. Diplômé
du VGIK, j’ai tout de suite travaillé aux Studios Lenfilm et aux Lsdf
(studios de production documentaire de Leningrad).
Entre 1978 et 1987, j’ai réalisé deux longs métrages de fiction et de
nombreux documentaires. La censure gouvernementale n’a jamais
autorisé aucun de ces films à être vus. A partir de 1987, avec les
changements politiques en Union soviétique et grâce aux efforts de
l’Union des cinéastes, presque tous ont été montrés. Ces neuf années
ont représenté pour moi une expérience terrible mais ne m’ont en aucun
cas, contraint à capituler.
Actuellement, je vis et travaille à Saint-Pétersbourg. »
Alexandre Nikolaïevitch Sokourov
On trouvera ci-dessous un extrait de réponses faites par Alexandre Sokourov lors d’une conférence de Presse faite pendant le festival de Cannes 2003.
Le texte de la conférence de presse a été publié par le journal russe « Rossiskaïa gazeta » sous la plume de Valeri Kitchine et traduit par Kinoglaz
Le film d’Alexandre Sokourov « Père et fils », présenté au festival de Cannes, n’a pas beaucoup attiré l’attention de la presse, lors de la rencontre organisée avec le réalisateur, les acteurs et les producteurs. Il y avait peu de journalistes et ils ne se sont adressés qu’au réalisateur, sans prêter attention aux autres. Les personnes présentes n’étaient intéressées que par une question qui, malgré les protestations du réalisateur, a été constamment reposée : que signifie la scène ambiguë du début du film, que tout le monde interprétait comme une scène de rapports homosexuel ?
Dans une semi-obscurité deux corps masculins dénudés à peine visibles. Ils sont étroitement entrelacés l’un caressant tendrement l’épaule et la hanche de l’autre sous les accents pathétiques d’un violon. On distinguait de petites plaintes, des chuchotements, des mots à peine audibles tels que « doucement », « calme toi ». Les étrangers ne comprenaient pas les mots et pour eux cette scène avait une seule interprétation possible : pour les Russes aussi d’ailleurs.
Sokourov a été patient. Il s’est étonné de cette compréhension de son film et, comme d’habitude en a accusé les spectateurs. Le cours de sa pensée est si intéressant pour l’appréhension de la personnalité du plus mystérieux de nos réalisateurs, que je me permets de rassembler en un monologue de l’artiste les diverses réponses qu’il a faites.
Notre film parle d’un père et de son fils et des liens humains de tendresse qui les unissent. Et je ne comprends pas d’où vient une si grossière interprétation. J’observe avec tristesse que les gens ont désappris à être sincères, désappris à être sensibles. Ne croyez-vous pas qu’il y a là quelque chose de criminel ? Si nous ne nous battons pas pour que nos relations restent à jamais sincères, si nous franchissons sans cesse les limites de l’éthique en ce qui concerne l’art et les individus, nous ne pourrons sauver notre qualité d’homme et a fortiori nous ne pourrons pas l’enrichir. Nous cesserons de comprendre la littérature ou se trouve tout cela. Là sont exprimées les souffrances humaines engendrées par les non-dits des relations entre les gens. Ces interprétations vulgaires, de ce qui en fait est très pur – d’où viennent-elles ? Pourquoi accroître et répandre cette vulgarité ? D’autant plus qu’il s’agit d’une oeuvre d’art. Une oeuvre, il faut s’efforcer de la sentir, non de l’interpréter. Je ne veux pas parler d’homosexualité. Je ne sais pas comment faire un film sur ce thème dans une société furibonde, qui n’accepte pas de telles personnes et un tel type de relations. Les gens ne peuvent même pas accepter qu’il y ait des peaux de couleurs différentes – voyez les dégâts du racisme et du nationalisme. Alors pour ce qui est de comprendre les différences intérieures profondes, on en est encore loin.
La différence d’âge entre le père et le fils n’est pas très grande, aussi il est plus facile au père de se reconnaître dans son fils, et au fils de voir dans son père son proche avenir. En réalité il s’agit d’une seule personne à laquelle on donne la possibilité de s’observer à des époques différentes. C’est un procédé classique de la littérature européenne. Et je ne comprends pas pourquoi nous oublions constamment cette tradition. Comment comprend-on notre cinéma ? Il faut se souvenir : dans la salle entre un homme, pas un imbécile, un vaurien ni un fonctionnaire, mais simplement un homme. Et le seul problème de l’art est de l’améliorer, de l’aider à comprendre les problèmes humains et à se comprendre lui-même. Car parmi tous les êtres vivants, seul l’homme dispose d’une base culturelle. Il n’y a rien de tel chez les animaux. Regardez comme le monde est cruellement construit : les créatures se mangent les unes les autres, chacune ne vit que dans la mesure où elle en détruit d’autres. D’autres formes de conservation de la vie n’existent pas. Dieu a construit cela bien cruellement, si tant est que c’est lui qui a créé cela et que toute créature a été préméditée. Et l’homme, s’il est vraiment homme, doit se tenir à distance de ce monde de destruction réciproque, un monde où tout est possible.
Dans ce film nous voulions créer une certaine représentation de la ville. Non d’une ville particulière mais d’une ville imaginaire dans laquelle tous les spectateurs, qu’ils soient de Saint-Pétersbourg, de New-York de Toronto ou de Grenoble, puissent y trouver quelque chose de familier. Nous avons essayé de réunir le nord et le sud ; une partie du film se passe à Saint-Pétersbourg, mais nous avons tourné 4 jours à Lisbonne. Lisbonne est une ville unique avec des marques étonnantes des premières ville européennes. Elle est maintenant en reconstruction et dans deux ans ce Lisbonne-là n’existera plus. On va la transformer pour en faire un centre touristique standard.
Ainsi nous avons créé une forme de ville qui n’existe nulle part sur terre. Et sur terre on ne rencontre pas de telles relations entre les gens, n’est-ce pas? Bien sûr ces relations sont uniques, bien sûr il s’agit d’un conte. Ce n’est pas une photographie, c’est un film ! Dans l’art on ne peut pas tout comparer à la vie. Ce n’est pas un documentaire, mais une fiction qui met en jeu une vie complètement autre. Et je voudrais que chaque spectateur, quelle que soit sa nationalité, quelle que soit sa religion, trouve dans notre oeuvre un petit coin pour y reposer son âme.
Des films tels que le nôtre ne se font pas par hasard. Le travail sur un tel film est un processus professionnel. Il y a des répétitions, on discute de la mise en scène, on évalue chaque mot et la façon de le comprendre. Les acteurs ne jouent pas un rôle mais le vivent et chacun y apporte ce que son être a d’unique. Les acteurs ne sont pas des acteurs célèbres qui vont de films en films comme les oiseaux sautent de branche en branche. Non, sur l’écran nous devons voir un homme, ou une femme, qu’on n’a jamais vu auparavant. Et alors le déroulement de sa vie sera unique. C’est un miracle et c’est seulement au service de ce miracle que je m’efforce de préserver l’acteur.
Les personnes qui m’ont fait l’honneur de jouer dans mes films deviennent comme des membres de ma famille. Par exemple devant vous, vous voyez deux êtres qui me sont très proches : Alexeï Neïmychev et Andreï Chtchetinine. Je leur resterai redevable toute ma vie. Ils ont su faire preuve de suffisamment de chaleur humaine, pour comprendre qu’au moins une fois dans sa vie l’homme peut faire quelque chose pour l’art. Tout le monde a cette chance indépendamment de sa profession – maçon, militaire, sportif, peu importe...
Je regrette qu’il faille encore une fois revenir à l’homosexualité. Je ne comprends vraiment pas ce qui se passe. Déjà, quand le film Mère et fils est sorti, on m’a constamment demandé si c’était un film sur l’inceste. Mais qu’est-ce qui se passe dans la tête des gens, quel est ce bourbier ? Pourquoi n’y a-t-il pas de régénérescence, pourquoi cette saleté embourbe-t-elle les esprits ? Dans le film Mère et fils il y a une scène dans laquelle le fils déshabille sa mère et la porte dans ses bras. De même dans Père et fils, si on regarde bien attentivement tout est très simple. Le fils fait toujours des cauchemars. Il rêve qu’on le tue et une fois il rêve que c’est lui-même qui tue son père. Le père essaie de le réveiller, de le calmer. Pour lui son fils sera toujours un enfant, il ressent toutes ses souffrances. Et chaque fois, quand commencent des cauchemars particulièrement terribles, il essaie de réveiller son fils, car personne ne sait ce qui peut se passer après, personne ne sait ce qui va se passer dans le rêve du fils dans le moment qui suit. Et le père a peur. Le père a peur de ce qui se passe dans cet être qui lui est si proche. A ce niveau le père ne peut plus contrôler son comportement.
Je voudrais revenir au contenu du film. Tout est clairement et concrètement dit. Je vous demande, quand vous parlerez du film de dire à vos lecteurs : regardez attentivement ce qui se passe dans le film. Ecoutez ce que disent les personnages. Ne vous hâtez pas d’introduire dans cette oeuvre vos problèmes particuliers ou vos complexes. Ne la détruisez pas, laissez-la exister telle qu’elle a été créée. Je sais qu’il y a des gens qui haïssent tout ce que je fais. A eux aussi je dis : faites taire votre orgueil et regardez attentivement ce qui se passe sur l’écran. Ce que peut apporter l’oeuvre de positif à chacun dépend beaucoup de ce que vous écrirez. Et pourtant ne croyez-vous pas que le seul but de l’art est d’améliorer la vie morale de l’homme ? Il existe dans le monde un contexte culturel et éthique, et dans ce contexte, il n’y a que l’art et rien d’autre qui puisse changer l’homme.
Dans notre pays, on commence à introduire avec enthousiasme dans la culture des oeuvres dans lesquelles on fait adroitement l’éloge de conduites humaines destructrices comme le viol, l’assassinat, la cruauté. Et pour cette entreprise de destruction commencent déjà à travailler des réalisateurs reconnus. Le cinéma et la presse du monde entier entrent dans ce processus. A ce cercle vicieux il n’y a pas d’issue, et tout le monde le sait. Et dans ce mal causé à l’homme, les sociétés européennes et américaines ont une grande responsabilité ; et où, mieux qu’à Cannes, peut-on en parler ?
Dans les journaux, on a écrit que j’ai la nostalgie du passé. Il faut faire davantage attention à ce qu’on écrit dans les journaux. Ce qui est dit et ce qui est écrit ce n’est pas toujours la même chose. Je n’ai aucune nostalgie. Je suis sensé et je comprends qu’on ne peut arrêter le temps. Aujourd’hui j’ai l’entière liberté de créer tout ce que je veux. Ce n’est pas par hasard si le film Père et fils est dédié à Alexandre Goloutve – une personne qui a fait beaucoup pour que je puisse travailler : d’abord en tant que directeur du studio puis de notre société de cinéma, il m’a défendu et sauvé de nombreuses fois.
Je n’ai jamais réalisé de film que je n’aie eu envie de faire, et je ne sais exprimer que ce que je connais. Pour faire de nouveaux films je dispose maintenant d’une aide de l’Etat. Bien sûr, je voudrais bien que cette aide soit plus importante mais je comprends que les besoins cinématographiques de notre pays sont immenses et que mes collègues ont aussi besoin d’aide et notre pays n’est pas aussi riche que la France. Mais je ne doute pas que nous prenions conscience du rôle immense que peut jouer le cinéma et notre cinéma redeviendra un grand cinéma.
Non je n’ai pas de nostalgie. Mais j’observe avec inquiétude la chute des moeurs dans le pays où je vis. Je vois comment une infâme marchandise cinématographique venue d’Europe et d’Amérique envahit notre pays. Et là, il y a, en effet, un peu de nostalgie. Aujourd’hui il est devenu difficile de voir sur les écrans un film en langue russe et aussi difficile qu’en France, en Angleterre ou aux États-Unis de voir tout simplement un film sérieux. Une monstrueuse vague de marchandise audiovisuelle nous envahit. La transformation d’hommes de culture en fournisseurs de produits de masse est devenue une forme de totalitarisme encore plus terrible que le précédent. Et bien entendu à l’époque soviétique ce processus n’avait pas la même ampleur destructrice. Vous pouvez dire du socialisme ce que vous voulez, nous pourrions être encore plus sévères, mais il n’y a jamais eu en Russie une telle dévastation.
Un réalisateur soviétique a dit que pendant la première moitié de sa vie il a travaillé pour son nom, mais que pendant la deuxième moitié c’est son nom qui a travaillé pour lui. Dans mon cas ce n’est pas la même chose : chaque année il m’est plus difficile de faire un film. Je ne sais pas ce qui va se passer dans l’avenir, et si je réussirai à tourner encore quelque chose, mais c’est ma vie. Je suis très reconnaissant envers les producteurs de divers pays qui m’ont fait confiance et m’ont permis de filmer ce que je voulais. Mais je crois que c’est la dernière fois que je participe au festival de Cannes.