Prologue « Andante en délire » :
Un vieil homme garde la fontaine du village, creusée dans l’anfractuosité d’un rocher. Les dromadaires semblent veiller sur la paix immuable(espace) du désert. Surgit un camion, tel un monstre, au cœur de la communauté. Les hommes en descendent bruyamment, se précipitent sur la fontaine, la brisent : l’eau jaillit en abondance; ils se servent et repartent en soulevant la poussière. Devant la fontaine tarie, le vieillard pleure. Deuxième séquence « Allegretto » :
La gare de Moscou : une famille attend; le vieillard vient s’installer dans la famille de sa fille (ou nièce). Il ne parle pas un mot de russe, mais prétend soumettre le foyer de ses enfants à ses traditions ancestrales. L’immeuble dans lequel ils vivent est délabré : les fuites d’eau multiples exigent d’urgentes réparations et la population de l’immeuble s’insurge contre la négligence des responsables. Troisième et quatrième séquence « Le toit » et « Les ailes » :
La fille (ou nièce) du vieillard, dont le mari est l’ingénieur principal du Bureau de l’Exploitation des Immeubles (le JEK) y fait entrer son père et le voilà préposé au contrôle de la bonne alimentation en eau des immeubles. C’est alors que les décisions opiniâtres du vieil homme, qui applique des principes d’économie stricte, issus de ses anciennes responsabilités au Kazakhstan, et les principes d’économie de l’administration locale, régis par l’incompétence et le manque de moyens, entrent en conflit jusqu’à détraquer toute vie sociale pendant que le toit s’envole et que l’immeuble menace de s’effondrer.
Cinquième et sixième séquences « Pathetico », « Sans eau » et « Dans les ténèbres » :
La vie est paralysée, et dans un effort de solidarité dont les initiateurs tirent de substantiels bénéfices personnels, les habitants de l’immeuble se mobilisent pour sauver les murs. A l'exception d'un des locataires qui, musicien, s'isole en tapant sur son piano, et homme-oiseau, cherche à réaliser son rêve en s'entraînant sur une corde tendue entre les toits face aux protestations indignées des autres locataires et au ravissement des enfants. Septième séquence « Grandioso », « L’envol » :
L'électricité et l'eau fonctionnent à nouveau. La liberté est retrouvée et par la béance du toit, s’envole le vieillard enchanté.
« Délit de fuites (La fontaine) est une brillantissime satire sociale de l’incompétence et de l’irresponsabilité à propos d’un immeuble collectif en piteux état et, de plus, menacé de ruine par une lézarde, version comique, en quelque sorte, de Je demande la parole : l’apocalypse qui guette ce microcosme symbolique, peuplé de locataires farfelus (y compris un homme-oiseau qui dévale à travers la cour le long d’un câble) mais mal résignés à l’incurie générale, trouve heureusement une fin modestement optimiste en forme de fuite hors du réel. » (Marcel Martin, Le Cinéma soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev).
Dans une banlieue maussade à la périphérie de Léningrad, une banale barre grisâtre. L’arrivée d’un vieil Ouzbek (beau-père du gérant de l’immeuble), ennemi du gaspillage – surtout de l’eau, si précieuse pour un fils du désert – chamboule la vie des locataires qui jusque-là vaquaient à leurs petites affaires. Chaque étage a son lot d’originaux : un horticulteur en chambre, les zélateurs d’un obscur écrivaillon décédé, un musicien perché (dans tous les sens du terme), quelques poivrots, des ménagères débordées,
beaucoup de citoyens indifférents… Et un Don Quichotte. Moderne Pot-bouille à la mode soviétique, le lieu et ses habitants sont une métaphore d’un système à bout de souffle. La Maison Russie se déglingue à tous les niveaux, de la cave au grenier. Tableau véridique d’un quotidien délabré, cette comédie grinçante et bouffonne est conçue comme une pièce musicale en sept mouvements de l’andante allègre au grandioso final. C’est le constat impitoyable d’une société à la veille de l’implosion. Tournée en pleine Pérestroïka, la satire de Youri Mamine offre une vision prémonitoire. Mais on le sait, tout bon artiste est aussi un prophète. Françoise Navailh