Valentina (Kira Mouratova) est responsable du logement au Conseil municipal d'une ville de province. Elle doit faire face à la fois à l'impatience de ceux qui attendent un logement et à la corruption de ceux qui les fabriquent. Elle a un amant géologue, Maxime, (Vyssotski) qui est surtout soucieux de sa propre liberté. Valentina prend comme femme de ménage une autre et plus jeune maîtresse de Maxime.
"Le récit est habilement construit autour de flashs-back qui s'assemblent peu à peu comme les pièces d'un puzzle offert à l'imagination du spectateur : on admire que Mouratova nous fasse ainsi complices d'une intrigue suggérée plus qu'explicitée (...). Cette subtilité dramaturgique fondée sur l'insertion de la mémoire dans la réalité fait songer à Resnais et, côté film de femme, à Varda ou à Chytilova pour l'élégance et la pénétration dans l'analyse du caractère féminin, le tout non dénué d'humour et d'ironie.
Cette brillante réussite, filmée dans un noir et blanc raffiné qui exalte la belle lumière du sud (le film a été tourné aux studios d'Odessa) est la plus typique affirmation d'un cinéma d'auteur à la manière des nouvelles vagues occidentales. "Ma biographie commence avec Brèves rencontres" dira plus tard la réalisatrice. Malheureusement pour elle, un tel film ne peut que déplaire aux bureaucrates, qui le critiquent sévèrement et ne lui accordent qu'une sortie confidentielle."
Marcel Martin Le cinéma soviétique de Khroutchev à Gorbatchev, L'Age d'Homme
Brèves rencontres est un film déconcertant, qui associe l’esthétique du fragment et la logique de la démonstration. La poésie du récit repose sur l’irruption inéluctable de la mémoire dans la réalité quotidienne banale et plutôt confortable d’une vie petite-bourgeoise. Les souvenirs recomposent et transfigurent l’expérience, pèsent sur le présent aussi, lui donnant son éclat et son étouffante épaisseur : ainsi le souvenir de la première soirée au restaurant avec Maxime cristallise-t-il l’enracinement à cet instant de la vie de Valentina dans l’ivresse de l’inattendu et dans la torture de l’attente. La séquence du départ de Maxime pour des aventures lointaines confère au jeune homme sa séduction en même temps qu’elle fait surgir l’insupportable frustration du désir. La souffrance du présent, telle que le film la représente, est faite de cette tension entre désir et rejet, entre énergie et asthénie qui se combattent dans la vie quotidienne de la femme condamnée à l’attente, et libérée par l’absence. La poésie exaltante des grands espaces où vit son mari, et qu’elle n’imagine pas parce qu’elle ne les connaît pas, c’est dans les souvenirs de sa rivale que le spectateur la connaît. Mais le souvenir est encore pour celle-ci source de douleur, autant que de rêve. La juxtaposition de ces deux attentes, vécues dans une amitié incongrue, fondée sur la perversion du non-dit, met en scène avec un réalisme proche parfois de la dérision, l’aliénation psychologique à laquelle la mémoire réduit les deux femmes. La désinvolture de Maxime, qui s’est voué au bonheur de l’instant, apparaît pourtant bien veule et vaine au spectateur : il n’apparaît que par intermittence, s’annonce toujours, n’arrive jamais, n’est présent que virtuellement, par le canal du téléphone ou du magnétophone. Le poète n’est peut-être qu’une image, un fantasme d’artiste. Mais c’est par l’espoir enfin concret de son retour que les objets reprennent vie à la fin du récit dans le mouvement panoramique de la caméra, bien que, dans cette poésie de l’ambiguïté, la dernière image soit un plan fixe sur une table de fête sans convives.
La musique, celle des chansons que Maxime chante d’un air absent, accompagné de sa guitare, toujours seulement ébauchée, se perd dans le flou : celle qui ponctue la rencontre de Maxime et de Valentina, agressive et ironique, détruit l’effet romantique de la rencontre amoureuse. « Mélodrame bourgeois », selon le mot de Kira Mouratova ou poésie du « rien » qui fait le « tout » de la vie quotidienne ? Kinoglaz