Dans un village russe loin de tout, les vieilles vivent, dans le pays qu’elles aiment, leur vie fruste, resserrée autour de la table de la cuisine où elles commentent, sans vergogne et avec force verres de vodka, les petits événements de leur existence ou ce qu'elles connaissent des grands changements de la "nouvelle Russie". Le cimetière voisin témoigne des deuils qui ont transformé le village en une sorte de béguinage, où la seule présence masculine est celle d’un simple d’esprit, inoffensif mais fureteur, en quête d’une improbable reconnaissance. Seul lien avec la civilisation actuelle, une caserne militaire, située dans la région, vient de temps à autre apporter quelque animation et surtout chercher la vodka clandestine dont les "petites vieilles" ont le secret. Un jour des « étrangers » musulmans, réfugiés ouzbecks aux yeux bridés et qui ne parlent pas russe viennent s’installer dans le village. Leur arrivée va bouleverser les habitudes et faire naître une cohabitation aussi émouvante qu'inattendue.
"(...) Coïncidant avec le constat d'un certain renouveau du cinéma venu de l'Est, le Grand Prix du Jury a couronné Les Petites Vieilles du Russe Guenadi Sidorov. Il s'agit d'un film truculent, situé dans un village oublié du monde, sans électricité, habité par quelques mégères et un trisomique. Les vieilles babouchki, buvant abondance de vodka, caquetant sur la "baise" et traitant les hommes de passage (essentiellement des militaires) de "connards" ou de "bougnoules", voient arriver une famille de réfugiés d'Asie centrale priant Alah. Cette réflexion sur une Russie en retard sur la modernisation et sur le rejet des étrangers évoque la veine festive d'un Kusturica (...)"
Jean-Luc Douin, Le Monde 28 janvier 2004
Guennadi Sidorov, tout en décrivant un petit monde aux antipodes de notre société moderne, nous parle de nous-mêmes face aux problèmes essentiels de cette société. Là-bas comme chez nous les gens peuvent être mesquins, méchants et jaloux; là-bas comme chez nous il y a l'incapacité à admettre la différence, il y a le racisme. Mais ce que nous montre également le réalisateur c'est que là-bas aussi, chez ces oubliés de la société moderne, il y a l'intelligence et l'humour et il y a aussi la capacité d'accepter les autres. Si certaines vieilles veulent rejeter ceux qui ne prient pas "comme chez nous", il y a celles qui comprennent que chacun a sa façon respectable de prier. On peut être étranger, sans papiers, avoir toujours été paysan et être capable de construire un générateur d'électricité. Par opposition, le fait de vivre en ville n'est pas une preuve de supériorité : en revoyant un homme qui avait quitté le village pour aller chercher le bonheur en ville, l'héroïne principale se dit à elle-même : "connard il était, connard il est resté".
Mêmes qualités mêmes défauts, chez eux et chez nous; et aussi le même immense besoin d'amour, physique ou affectif, le même besoin d'aider les autres, le même besoin de rêver en des jours meilleurs, la même angoisse aussi devant la solitude. Au risque de perdre les avantages que leur donne le voisinnage d'une garnison militaire et de se retrouver encore plus isolées, les vieilles vont non seulement cacher un jeune soldat qui veut s'évader, mais l'aider à s'enfuir par le train. L'émotion au moment de la séparation, celle des femmes comme celle du jeune homme, souligne le besoin d'affection des uns et des autres et participe aussi au message d'espoir que nous délivre le film. En omettant sciemment de traduire les dialogues des "étrangers", le réalisateur nous fait entrer plus profondément dans le monde de ces femmes. Nous participons mieux à leur approche des situations et nous nous interrogeons sur nos propres réactions face à la misère, l'incompréhension et la violence. Ces vieilles femmes nous montrent que beaucoup dépend de nous-mêmes, de notre courage, de notre aptitude à oublier nos intérêts immédiats ou, au contraire, de notre indifférence. Comme le chante "l'idiot" du village à la fin du film : "S'il y avait moins de connards, nous serions tous des tsars". Et la fête finale autour de la naissance d'un bébé chez les "étrangers" montre en effet à l'évidence qu'avec moins de bêtise et plus de compréhension la vie serait tellement plus belle.