La misère à la campagne. Les isbas tombent en ruines. Les paysans manquent de tout, et en particulier des moyens indispensables au travail de la terre. Malfa Lapkina n’a qu’une vache, squelettique. Elle n’a pas de herse, pas de cheval pour labourer sa terre. Elle va demander aux riches koulaks ses voisins, de lui prêter un cheval. Ils refusent. Avec l’aide de l’agronome régional, elle parvient à persuader quelques paysans de s’unir pour créer une coopérative laitière. Malgré le sabotage des koulaks, le bien-être s’installe peu à peu dans le village. Puis la collectivité achète un taureau et l’élevage devient prospère. Enfin les ouvriers-cadres aident l’équipe à acheter un tracteur. Le film s’achève sur les images de dizaines de tracteurs qui labourent les terres, d’une inépuisable fertilité, de la collectivité.
Le Cuirassé Potemkine et Octobre, films sur la révolution, sont des films de foule, de destin collectif. La Ligne générale raconte une destinée purement individuelle. Eisenstein avait choisi une paysanne illettrée, portée par sa propre expérience : Marfa n’est pas un personnage démonstratif mais une femme simple, obstinée dans son bon sens. C’est d’instinct qu’elle adhère à la coopérative.
Et, à partir de là, le film s’envole dans le lyrisme. Un pope organise une procession et des prières pour qu’il pleuve. Le baromètre est avec lui. Le montage, railleur, assimile les paysans crédules à des moutons qui bêlent et qui bavent. Marfa, elle, croit aux forces naturelles, au travail. Elle regarde fonctionner, avec une triomphante joie sensuelle, l’écrémeuse achetée par la coopérative. Et l’appareil devient une sorte d’être vivant, qui éclabousse de gouttes blanches le visage radieux de la paysanne dans un jaillissement de fécondité.
Jacques Siclier, Le Monde