Lorsqu’il reprend le pouvoir, Ivan le terrible entre en conflit avec deux de ses amis : Kourbski, qui l’a trahi en passant au service de l’armée polonaise, ennemie héréditaire du tsar et Fedor, l’un de ses Oprotchiniki (les gardes du corps du tsar), devenu métropolite et complice des boyards. Il prépare l’assassinat du tsar avec ces derniers, mais c’est le tsarévitch Vladimir, leur candidat, qui tombe par erreur sous leurs coups dans la cathédrale.
«Le cinéma apparaît ici comme une parfaite synthèse de tous les arts, sans la moindre dégradation ou démission de l’un ou de l’autre. Ivan le Terrible c’est un drame, c’est une fresque, c’est une architecture, c’est un opéra tels qu’ils peuvent soutenir séparément la comparaison avec les plus beaux des drames, des fresques, des monuments ou des opéras du monde et c’est pourtant un vrai film qui exerce un pouvoir de fascination sui generis ne serait-ce qu’en ouvrant la place à des pensées, des regards, des mouvements ou des rythmes que les autres arts s’étaient montrés impuissants à exprimer.
Mais de tous ces aspects, (….), celui qui m’a le plus frappé, c’est le drame. Ou plutôt la tragédie. Car si le mode épique l’emporte dans la première partie, la seconde nous offre un portrait de l’homme au pouvoir digne de soutenir la comparaison avec Shakespeare. » Eric Rohmer
« Cette œuvre, qui devait être la dernière de Sergueï Eisenstein, fut plus encore que son Alexandre Nevski l’accomplissement de l’esthétique qui était devenue la sienne dans la seconde partie de sa carrière. Il voulut traiter son œuvre dans le ton tragédie, plaça en quelque sorte ses personnages sur des cothurnes, et leur fit presque psalmodier un dialogue de style noble et archaïque. La plupart des séquences furent construites sur des leitmotives plastiques, correspondant aux motifs musicaux de la musique de Prokofiev : la mort de la reine, par exemple, fut dominée par d’accablantes diagonales, le banquet ponctué par des sortes d’ « S » majuscules, la finale déchirée par des zigzags quasi expressionnistes. Pour comprendre la grandeur et l’importance capitale de ce « Ciné-Opéra », il fallut le connaître dans son intégralité. La seconde partie, terminée en 1946 fut seulement révélée dix ans plus tard, après la mort de Staline. Le dénouement de la tragédie fut prodigieux, avec son fantastique ballet en couleurs amenant un meurtre dans la cathédrale, traité en noir et blanc. Tout ce contrepoint audio-visuel, toutes ces recherches formelles firent un peu oublier le sujet. L’œuvre était incomparable par sa noblesse, sa perfection plastique, sa savante élaboration. Mais, en dépit d’admirables acteurs -Tcherkassov en premier lieu- l’humanité manque un peu à ces héros de tragédie. Eisenstein avait déployé pour ses scènes de bataille des armées entières ; il para ses interprètes des authentiques joyaux de la couronne. Mais pour que ce grand classique eût enfin tout le succès mérité, il fallut attendre qu’il fût intégralement connu.» Georges Sadoul, Histoire du cinéma mondial
«Ivan le Terrible est le seul film où Eisenstein ait évoqué longuement, précisément, l’enfance de son héros. La séquence de l’enfance d’Ivan est une des plus impressionnantes, avec la chambre obscure où le garçon de huit ans est tapi craintivement dans le noir, pendant qu’on assassine sa mère. Cette séquence, insérée lors du montage définitif au début de la seconde partie, devait, d’après le plan primitif, servir de prologue à la première partie. On ne sait quelles raisons poussèrent Eisenstein à modifier le plan initial, mais on peut le conjecturer. Peut-être s’était-il rendu compte qu’en plaçant cette scène de cauchemar et d’angoisse avant les scènes « glorieuses » du sacre et des noces et du siège de Kazan, il mettait trop tôt son personnage sous la dépendance de son passé infantile., il en faisait trop tôt un maudit, il livrait trop tôt, avec l’image inoubliable du souvenir traumatisant, la clef de ses bizarreries et de ses folies ultérieures. Quoi qu’il en soit, la séquence de l’enfance, placée au début de la seconde partie, occupe une place centrale par rapport à l’ensemble du film et répand sur toute l’œuvre sa sinistre lumière. » Dominique Fernandez, Eisenstein,(p.245) Editions Grasset, 1975.