Lev Koulechov est l’un des fondateurs de la cinématographie soviétique.
Né à Tambov, il s’installe à Moscou après la mort de son père. Il étudie la peinture à l’école des Beaux-Arts. En 1916 il est invité par Khanjonkov dans ses studios, et il est chargé de faire les décors du célèbre cinéaste Evgueni Bauer avec qui il se lie d’amitié.
En 1917, il est décorateur, assistant d’Evgueni Bauer et acteur pour le film A la recherche du bonheur. La même année, il réalise son premier film, le Projet de l’ingénieur Pright, « premier film russe réalisé selon la conception du montage, avec des images spécialement élaborées et assemblées selon les lois du montage » (L.Koulechov, Entretien enregistré à Moscou en 1965). En 1919-20, il est chef des actualités auprès de l’Armée Rouge : il filme avec Edouard Tissé des reportages sur la guerre civile, dans des conditions souvent très dangereuses. Fin 1919, il crée à l’Institut technique du cinéma un cours de rattrapage pour les élèves refusés. Ses étonnants succès lui valent l’autorisation de fonder un collectif, « le laboratoire Koulechov », dont feront partie l’actrice Aleksandra Khokhlova et de futurs cinéastes, dont Eisenstein, Vsevolod Poudovkine, Boris Barnet, Leonid Obolenski, Serge Komarov, Vladimir Foghel, A.Reikh, Mikhaïl Doller, Valeri Inkijinov. A vingt et un ans, L.Koulechov est le plus jeune et le plus brillant professeur de cinéma. En 1920 il tourne avec ses élèves un « film policier révolutionnaire », Sur le Front rouge (réalisé sur le front occidental lors de la lutte contre les Polonais blancs) qui mêle séquences documentaires et scènes de fiction.
Technicien et théoricien, il cherche, par l’expérience, à dégager les « lois » de l’art cinématographique à travers les ressources du montage. Il approfondit son expérience, faite en 1917, de ce qui fut appelé « l’effet Koulechov », c’est-à-dire le montage d’une même image de l’acteur Mosjoukine dans des combinaisons diverses (avec une assiette de soupe, une porte de prison, des images de situation amoureuse). L’expression de l’acteur semblait radicalement différente dans chaque situation, et Koulechov en vint à considérer le montage comme l’essentiel du travail du réalisateur. L’acteur lui-même doit jouer avec la précision d’une marionnette (« à toute émotion correspond un mouvement du corps »), et le cinéaste opére le « montage » de l’acteur. L’artiste de cinéma est un constructeur, thèse qui valut à Koulechov l’accusation de « formalisme ».
Le collectif se disperse en 1926. Koulechov réalise son premier chef-d’œuvre Dura Lex (1926), remarquable par la rigueur du découpage et le jeu des acteurs. En 1933, il réalise Le Grand Consolateur, d’après les œuvres de l’écrivain américain O’Henry. Le film est écrit sur trois plans différents : celui de la réalité (la vie de O’Henry en prison), celui de la fiction (la vie de l’héroïne, empruntée aux récits de l’écrivain, qui se console en lisant des contes roses), celui de l’invention ( la modification par O’Henry de la vie réelle de Jimmy Valentine, le « casseur » de coffres-forts).
Si Koulechov a découvert le montage -inspiré d’ailleurs dans ses recherches par le cinéma américain, et singulièrement par le cinéaste Griffith- il n’obtint pas la reconnaissance méritée : souvent contraint à l’inaction, il se voua surtout à l’enseignement, où il finit sa carrière, à partir de 1944 comme directeur du VGIK (Institut national du cinéma).
En 1922, Koulechov réalise une expérience : il juxtapose l’image d’un visage neutre (celui de l’acteur russe Ivan Mosjoukine) avec trois plans successifs, chacun faisant naitre un sentiment différent : l’appétit, la tristesse et le désir. Directeur de l’école de cinéma de Moscou dans les années 20, il montre, images à l’appui, que les plans cinématographiques ne sont pas étanches : dans son expérience, un même plan « face caméra » sera interprété différemment par le spectateur selon que le visage est suivi de l’image d’une assiette de soupe, d’un cadavre, ou d’une femme dévêtue.