Inspiré par la littérature russe du 19e, et notamment le roman Crime et Châtiment de Dostoïevski, Sokourov dresse un portrait tragique de la société russe.
Commentaires et bibliographie
D’abord, le regard glisse interminablement sur de la couleur grise : on fait effort pour distinguer le gris d’une muraille, lépreuse, suintante et au pied de laquelle s’élèvent des vapeurs d’eau, celles du canal qui baigne le quartier misérable et sans âge, où peu à peu on discerne la silhouette d’un homme jeune, altière et famélique.
L’homme erre parmi des vagabonds qui l’insultent : l’atmosphère est celle d’une cour des miracles, qui n’est pas sans évoquer un enfer terrestre, par les cris, les rires glapissants et les vapeurs de fumée qui s’épaississent et enveloppent toutes les scènes de rues . Il rencontre des prostituées : l’une d’elles, Sonya, le prévient que la police a identifié le cadavre de « la vieille femme ». On retrouve l’homme recroquevillé dans une anfractuosité de l’édifice : il dort comme un animal dans sa tanière. Une jeune fille, d’une pureté lumineuse, vient le chercher pour qu’il assiste à l’enterrement de son père, écrasé par un cheval dans la rue. La scène suivante fait intervenir le greffier, dans la maison de la vieille femme assassinée : le jeune homme s’applique à remplir la liste des objets qui étaient en dépôt chez la morte, dont on comprend que c’était une usurière. L’homme va ensuite chez la jeune fille : il avoue avoir tué la vieille femme, sans oser la voler. La jeune fille reçoit la confession, dans un immense étonnement qui est aussi une infinie compassion. Est-ce pour le jeune homme la rédemption ? Les dernières images, où reprennent les déambulations de l’homme, rampant, cette fois sous une immense sculpture, mi-lion, mi-sphinx, suggèrent la fatalité de la solitude et la déshumanisation de l’être que la foi ne guide pas.
La charge d’angoisse qui se dégage du film, et qui fait aussi sa beauté méditative, tient aux longs plans-séquences qui subjuguent le spectateur, et à la musique de Mahler. Les dialogues, rares et énigmatiques, alourdissent le mystère d’un univers où la misère se déroule à l’infini, le long des murs d’immeubles lézardés, dont les bases baignent dans des eaux croupies, à travers des rues caverneuses et des escaliers démesurés, où grouille un peuple innommable de gueux, misère que la rencontre du jeune homme et de la jeune fille, rend plus tragique.