Le pauvre Menakhem Mendel ne recule devant aucun métier pour gagner sa vie et « obtenir son « bonheur juif »-un morceau de viande pour le samedi ». Il vend de la mercerie, crée un bureau d’assurances, essaie encore bien d’autres moyens. Un jour, il trouve une liste de riches jeunes filles à marier, perdue par un marieur. Beïla, la fille du riche Kimbak, aime un jeune et pauvre juif, Zalman et Kimbak s’oppose à ce mariage. Menakhem Mendel propose un riche fiancé à la jeune fille. Le jour des noces, Menakhem s’aperçoit que par inadvertance il a marié Beïla a une fiancée… Pour échapper à l’absurdité de cette situation, Kimbak consent alors au mariage de sa fille avec Zalman.
"La cinématographie soviétique est en plein essor. Elle se libère du mépris dans lequel elle tenait la forme. Un regard pertinent sur le cinéma comme œuvre d’art s’impose désormais. Il faut maintenant attendre des synthèses entre forme et contenu qui marqueraient la fusion entre la création artistique et la propagande. Le Bonheur juif appartient à la période de transition. On n’y trouve pas cette composante de propagande indispensable au film soviétique. Le thème choisi n’a pas été aiguisé socialement comme il est de rigueur pour la cinématographie soviétique. Les auteurs ont choisi une série d’anecdotes de Cholem Aleichem à propos du pauvre Menkhem Mendel qui a tant de mal à obtenir son « bonheur juif »- un morceau de viande pour le samedi. Mais l’ensemble est réalisé sur un ton débonnaire. On n’en tire aucune conclusion. Les épisodes ne sont reliés que par le personnage du fiancé pauvre qui obtient à la fin sa promise. On pourrait supprimer des développements entiers sans gêne pour le développement du sujet microscopique.
Ce matériau n’a pas permis à A.Granovski de déployer ses qualités. Et pourtant en voyant ce film on peut penser que le cinéma a fait une bonne acquisition. Le film est fait intelligemment et clairement. Quelques épisodes (celui du rêve) sont réalisés avec beaucoup de tempérament et d’ingéniosité. Il y a beaucoup de théâtre dans ce film. Granovski n’a pas encore assumé toutes les ressources du cinéma. Mais un bon film « théâtralisé » est préférable à un bâclage cinématographique « original »."
Pravda, 15 novembre 1925, Boris Gusman (extraits).
""Je compte réaliser un film juif grandiose", écrivait Alexis Granovski, fondateur du premier théâtre juif subventionné de l'histoire, le Goset (le Théâtre yiddish d'Etat). Il se donne tous les moyens pour parvenir à mener son grand oeuvre. Salomon Mikhoels, la grande vedette du théâtre yiddish, incarne Menahem-Mendl. Le peintre juif Natan Altman est chargé des décors du film. Le violoniste du Bolchoï, Lev Pulver, compose une musique inoubliable qui mélange allégrement le klezmer et les motifs russes. Les intertitres de ce film muet sont l'oeuvre de la sensation littéraire de l'époque, Isaac Babel, dont le nouveau livre, Cavalerie rouge, venait d'être publié dans deux traductions yiddish concurrentes. A l'exception du Dibbouk, le grand film yiddish de 1937, jamais un film juif n'aura réuni autant de talents juifs. <...>
Alexis Granovski livre un portrait de la misère juive de l'époque du tsar et offre les rares images d'un judaïsme en terre russe à travers une séquence de mariage, filmée avec une rigueur et un sens du détail qui inspirera plus tard Marc Chagall pour ses fresques du shtetl. Granovski trace également l'ébauche d'un burlesque yiddish qui aurait dû s'épanouir dans l'est de l'Europe, et trouvera un prolongement inattendu après-guerre dans le cinéma américain avec des comédiens comme Woody Allen, Elliot Gould ou Adam Sandler."
Samuel Blumenfeld, extraits d'un article paru dans Le Monde des livres 01.06.07