L'héroïne de "The New Greatness Case" est Anna Pavlikova qui au moment de son arrestation avait 17 ans. Sans se douter de rien elle discutait de différents sujets avec ses amis sur les réseaux sociaux et peu à peu s'est retrouvée impliquée dans l'action d'un groupe d'opposition de jeunes gens. Trois agents secrets des services spéciaux qui avaient infiltré le groupe portant le nom de "New Greatness" les poussaient à des actions directes avec armes et "cocktails Molotov". Mais ils ne sont jamais passés à l'acte. Tout le groupe a été arrêté et jeté en prison avec de fausses accusations de complot contre le gouvernement et d'extrémisme. Youlia, la mère d'Anna, s'est engagée activement dans le mouvement de protestation demandant la libération de sa fille et de ses amis.
Anna Pavlikova, qui est assignée à résidence, et son ami et compagnon de lutte Konstantin Kotov, condamné pour avoir "enfreint les règles d'organisation de manifestations" à plusieurs reprises, se sont mariés en prison en 2019. Le film relate également cet épisode.
Anna Chichova et son mari Dmitri Bogolioubov co-auteur du film, ont pu entrer en relation avec la famille d'Anna Pavlikova et filmer leurs efforts pour sauver leur fille de la prison. Le spectateur verra également des extraits de la vidéo secrète tournée par l'un des provocateurs avec une caméra cachée dans la pièce où se retrouvaient les membres du groupe.
Interview de la réalisatrice Interview publiée en russe par golosameriki.com, en lien ci-dessus et traduite par Hélène Stein de Kinoglaz.fr
Le correspondant, Oleg Soulkine, de l’édition russe de la “Voix de l’Amérique” a pu s’entretenir sur Zoom avec la réalisatrice Anna Chichova qui se trouve en Israël.
Oleg Soulkine : Sans doute, la première question doit concerner le 24 février. Comment la guerre qui commençait a eu une influence sur vous, sur vos héros, sur le destin du film ?
Anna Chichova : Je séparerais ma réponse en deux parties. Il y a une partie factuelle. Par exemple, le fait que moi et ma famille avons émigré et nous trouvons actuellement en Israël.
O. S. : Depuis combien de temps ?
A. C. : Début mars. Et puis il y a des choses qui ne concernent pas le plan matériel mais l’état psychologique et la perception de ce qui se passe. L’équipe du film et ses héros se trouvaient à l’intérieur du contexte de la Russie avant la guerre. Il m’est difficile de parler au nom de tous, mais je peux dire que pour nous, tout cela n’était pas une surprise. En tournant le film, nous avons été les témoins de l’enfer que traversaient nos héros. D’une manière ou d’une autre, nous sentions et comprenions tous que les violations des droits de l’Homme en Russie et l’absence totale de liberté allaient déboucher sur quelque chose de bien plus sérieux et terrifiant.
O. S. : C’est à dire que vous n’avez pas été surprise quand la guerre a été déclenchée ?
A. C. : Non, nous n’étions pas étonnés. Bien sûr, il y a eu, et il y a toujours, le choc. L’âme est toujours souffrante, si je parle de ma famille. En ce qui concerne les héros du film, Kostia Kotov, le mari d’Anna, il continue de travailler dans une organisation de défense des droits de l’Homme, une des dernières à communiquer des informations véridiques en Russie. Pour lui, pour la famille d’Anna, la guerre est devenue une horreur parmi la série de toutes les horreurs, qui ont conduit vers la catastrophe globale.
O. S. : Que pensez vous des répressions en Russie, vont-elles se durcir ?
A. C. : Oui, il ne faut pas minimiser ce processus pendant la guerre. Le pouvoir russe réagit de façon toujours plus brutale aux irritants intérieurs. Il suffit de regarder les chiffres. Le nombre de condamnations judiciaires envers les opposants augmente rapidement.
O. S. : Comment avez-vous pris connaissance du projet de “Nouvelle Grandeur” ? Il a été dit que pendant ce moment, vous étiez en train de tourner une vidéo pour “Memorial”.
A. C. : Nous tournions à ce moment là une vidéo d’information pour un projet média de défense des droits indépendant OVD-Info. Ils aident les détenus politiques et diffusent de l’information sur les répressions politiques. Ce sont des amis. Ils ont été contactés et informés de la détention d’un groupe de jeunes gens. Et nous avons tout de suite compris : ce serait un sujet formidable pour un film. On nous a présenté les parents de Anna Pavlikova, et on est tout de suite devenu amis avec toute sa famille. Nous étions sous le charme. Sa famille était alors en pleine confusion. Ce sont des personnes ouvertes, naïves et totalement étonnantes. Nous avons alors décidé de faire tout le chemin avec eux. Et nous sommes devenus de très bons amis aujourd’hui.
O. S. : Dans un journal en anglais, un article remarque que vous avez été assez “folle” (crazy enough) pour vous mettre à ce projet. En quoi consistait précisément le risque ? Est-ce que les “siloviki” et les services spéciaux ont manifesté de “l’intérêt” pour vous ?
A. C. : Bien sûr, cela faisait très peur de commencer le tournage. Nous avons filmé l’une des premières conférence de presse – une partie des images est entrée dans le film – au cours de laquelle les parents d’Anna ont raconté comment s’est passée son arrestation. Anna a une grande soeur, Nastia, qui a un bébé de 6 mois et une petite fille, Olivia. Au moment de l’arrestation d’Anna, ils se trouvaient tous ensemble dans un petit appartement dans l’un des quartiers dortoirs de Moscou. Cela s’est passé comme ça : à 5 heures du matin, un groupe de 10-12 personnes entre de force dans l’appartement. Ce sont des forces spéciales, en cagoule et avec des fusils automatiques. Nastia hurle : ne faites pas de bruit, il y a un bébé ici ! Anna a pris Olivia et la pousse sous le lit. Le bébé se réveille et pleure. Nastia se met par terre pour protéger sa fille des intrus. Tel est l’instinct maternel. Deux hommes des forces spéciales l’ont longtemps tenue en joue, comme s’il s’agissait d’une terroriste ou d’un trafiquant de drogue. Elle a été forcée de sortir sa fille de dessous le lit. Ma fille avec Dima avait à ce moment là exactement le même âge qu’Olivia. Cette histoire m’a frappée et j’ai senti que tout ce qui se passait dans notre pays sortait du cadre de la loi et de la morale. J’ai ressenti physiquement la menace pour mon propre enfant. Personne n’est à l’abri en Russie. Et j’ai compris que notre devoir était de faire un film honnête et objectif.
O. S. : L’affaire judiciaire que vous racontez dans le film n’est pas habituelle. Dix prévenus et trois provocateurs sans lesquels il n’y aurait probablement pas eu d’affaire du tout. Cela ressemble à une expérience des services spéciaux qui, au cours de la énième opération spéciale, testent les mécanismes d’influence sur les jeunes gens et leurs cerveaux encore fragiles et avec lesquels ont peut assez facilement « fabriquer » des « terroristes ». Qu’est-ce que c’était selon vous ?
A. C. : Je m’imagine la scène. Les gens du FSB réfléchissent et se demandent : comment faire pour travailler avec la jeunesse ? Avec ceux qui vont aux meetings et aux manifestions de protestations, les choses sont claires. Eux, ils sont mûrs, ils ont déjà formé leurs opinions. Mais peut-on devancer leurs protestations ? Etouffer les sentiments de protestation à la racine ? Et, en même temps, comprendre comment se forment ces sentiments ? Ils passent leur temps sur Telegram et mènent des conversations anti-gouvernementales en espérant attraper un de ces jeunes naïfs et confiants à leur hameçon. C’est bien pour cela qu’une nouvelle loi sur l’extrémisme a été adoptée, elle correspond parfaitement à ces situations.
O. S. : Depuis le début de la guerre, l’émigration depuis la Russie a fortement augmenté. Beaucoup partent et, comme vous, par crainte pour la liberté et la sécurité, pour leurs enfants, leurs petits-enfants. Que pensez-vous de cette nouvelle vague de l’émigration russe, peut-elle avoir une réelle influence sur la politique intérieure en Russie ?
A. C. : Les Russes à l’étranger peuvent librement exprimer leur opposition à la guerre. Et tant qu’il y a Internet en Russie, il faut utiliser Internet pour dire la vérité sur la guerre. D’où viennent ces 80% de la population qui, selon des sondages, soutiennent la guerre ? En Russie, beaucoup de gens ne soutiennent pas la guerre, mais ont peur de le dire. Et je me fais beaucoup de souci pour eux. Parmi eux, j’ai beaucoup de gens qui me sont proches. On doit les aider.
O. S. : Avez-vous l’intention d’aller à New-Yok pour la première de votre film ?
A. C. : Non, malheureusement. On a des visas et des passeports israéliens. Mais, les restrictions d’entrée aux Etats-Unis liées au COVID sont un problème. Nous sommes vaccinés avec le vaccin russe « Spoutnik », qui n’est pas reconnu dans le monde. Mais, on n’a pas le temps de faire de nouvelles injections. Le film sera présenté par Vassili Polonski, un grand ami et merveilleux journaliste, qui a suivi ce procès depuis le premier jour.
O. S. : Vous allez continuer à tourner des films ?
A. C. : Bien sûr, c’est mon métier.
O. S. : Avez-vous un projet concret ?
A. C. : Oui, mais pour la sécurité des personnes, je ne pourrai pas vous donner davantage d’informations.