L'ancien président du kolkhoze « le 1er Mai », Vassili Bortnikov, a passé plusieurs années à l'hôpital à la suite de traumatismes subis pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans son village natal, on le croyait mort. Sa femme Avdotia, d'abord très éprouvée, avait fini par répondre à l'amour de Stepan Mokhov. À son retour au village, Vassili trouve Stepan installé dans sa maison. Le départ de Stepan ne calme pas Bortnikov et c'est à cause de leurs enfants qu'il revient chez Avdotia. À nouveau élu président du kolkhoze, Bortnikov se jette à corps perdu dans le travail pour relever le kolkhoze ruiné. Exigeant envers lui-même et envers les autres, il se met à dos les kolkhoziens. Mais son travail porte ses fruits. Bortnikov connaît alors la joie d'un réel retour à son travail et à sa vie familiale.
"La compréhension, l'admiration que réclame le dernier film de Pudovkin sont aisément entravées, déroutées de leur objet véritable par tout ce que comporte d'idées préconçues notre vision de l'art et de la vie. Un tel film nous fait découvrir combien nos conceptions occidentales, l'habitude du spectacle cinématographique tel qu'il nous est offert chaque jour, limitent ordinairement notre entendement, encombrent de préjugés notre amour de l'art du film. La Moisson exige un esprit vierge de toutes conventions. À qui sait le recevoir en état de grâce, il dispense en revanche une satisfaction esthétique que le cinéma — au regard de la musique ou de la peinture — nous mesure chichement.
Le premier et plus évident mouvement instinctif dont il faille nous défendre est un mouvement de repli devant le thème général du film,. le cadre où s'en déroule l'histoire. Le kolkhoze, la vie communautaire nous dépaysent autant que les préoccupations des personnages nous sont étrangères. Notre esprit critique veut bien s'intéresser au cas psychologique que pose le retour de Vasilij dans son foyer, où un autre avait pris sa place alors qu'on le croyait disparu, mais s'étonne que ce drame soit constamment noyé dans l'histoire du kolkhoze, se choque de voir sans cesse les travaux des champs ou l'éducation politique des jeunes paysans prendre le pas sur les rapports individuels entre Vassili, son épouse et Stepan. C'est que nous voudrions que, passant du particulier au général, Poudovkine nous montre le lent déroulement des saisons, l'épopée de la moisson, au travers de l'anecdote psychologique, ainsi promue à la dignité de symbole. En réalité il en est tout autrement. L'œuvre de Poudovkine n'appartient pas à un art anecdotique — symbolique ou non — mais à un art épique. Le sujet de ce film, de cette grande symphonie de la terre, c'est, au ryhtme du progrès, l'histoire du développement rapide d'un kolkhoze jusque-là retardataire. L'histoire personnelle de Vassili et de sa femme n'est qu'un des multiples éléments qui, imbriqués, constituent la grande histoire de la communauté. Si une importance particulière lui est donnée, c'est que, paraissant à l'origine plus individuelle que les autres éléments de l'ensemble, son intégration dans cet ensemble prend une valeur, non de symbole, mais exemplaire. Lorsqu'aux dernières images de La Moisson, la caméra se substitue au couple réuni, et panoramique sur la vaste étendue de terres, d'eaux et de bois où vient de se dérouler l'histoire, nous remarquons avec surprise que jusqu'alors nous n'avions rien vu de ce paysage, tant nous nous étions intéressés exclusivement aux mouvements intérieurs des personnages, tant nous nous étions unis à eux, dont c'est le théâtre habituel, et devenu quasi invisible, de leur existence quotidienne. — à eux qui nous paraissaient au début si loin de nous. Tel est le miracle de l'art intimiste si achevé de Poudovkine. Après avoir fait La Moisson, il pouvait disparaître. Son œuvre ne mourra pas, et elle montre la voie féconde où déjà se sont engagés Raïzman. Barnet, et d'autres que nous ne connaissons pas encore."
Michel Mayoux. Cahiers du Cinéma, août-septembre 1953
"Ce film apparaît, un demi-siècle après, comme un archétype du réalisme socialiste devant concourir à l'éducation des masses laborieuses. Des millions de soviétiques ont dû voir des centaines de films sur des thèmes identiques.
Tout y est :la conduite conséquente du dirigeant éclairé ; le bon sens et l'attitude compréhensive de ceux de l'échelon supérieur ; le rôle du parti qui sait reconnaître les talents des gens qu'il envoie à l'école de perfectionnement ; le formalisme de la réunion de cellule, même réduite à trois personnes ; la critique et l'autocritique qui permet à Vassili, dont est dénoncée l'autorité peu amène, d'entonner des chants pour entraîner au travail les kolkhoziens, stupéfaits de la soudaineté du miracle ; la supériorité de la classe ouvrière, quand la jeune ingénieure, quoique ignorante des choses de la terre, sait expliquer les pannes des tracteurs aux paysans dépourvus de culture industrielle ; le héros messianique filmé en contre-plongée : la marche des faucheurs qui se joignent aux tractoristes pour prendre de vitesse l'orage annoncé, sur fond de chœur des vierges exaltant le bonheur , etc. Et si le nom du Père des Peuples, dont la photo orne chaque bureau, n'est pas prononcé, le héros en possède la carrure (supposée) et la virile moustache.
On pourrait donc, maintenant qu'on sait ce qu'il en est advenu, se gausser de tant de naïveté dans la propagande.
Mais on se souviendra aussi que, s'il n'a pas connu chez nous la notoriété d'un Eisenstein ou d'un Dziga Vertov, Poudovkine fait partie des grandes pointures du cinéma soviétique. Et il suffit pour s'en convaincre de quelques admirables plans (le dégel du ruisseau, le contre-jour sur un rideau d'arbres…) pour goûter la poésie des incises qui ponctuent ce film d'un irréprochable conformisme." Maurice Malosse, mars 2005