Немое кино и начало звукового 1918-1934

1918-1923 : Explosion des idées et monopolisation du cinéma

1924 –1930 l’apogée du cinéma muet soviétique

1930 - 1934 : Transition, fin du muet et de l'avant-garde

Les films de 1918 à 1934 - Bibliographie



Le cinéma muet et le début du parlant : 1918 - 1934



1918-1923 : Explosion des idées et monopolisation du cinéma


Peu après la révolution d'octobre 1917, les principales maisons de production cinématographique sont allées s'installer dans le sud du pays, en Crimée, et ont continué à produire des films, notamment des adaptations littéraires comme Polikouchka (Поликушка) en 1919 (sorti en 1922) d'Alexandre Sanine, inspiré d'une nouvelle de Tolstoï. Mais on vit aussi apparaître des thèmes devenus possibles après la suppression de la censure tsariste. Ce fut le cas du thème du mouvement révolutionnaire en Russie avec, par exemple, Le Révolutionnaire de Evgueni Bauer. Le thème religieux fut de même très souvent abordé. Il a donné lieu souvent à des films critiquant l’église de façon caricaturale mais aussi parfois à une authentique réflexion sur des thèmes métaphysiques. Nous avons déjà cité Le Père Serge, projet ancien de Protazanov, non réalisable sous le régime tsariste, réalisé vraisemblablement en 1917 et sorti en 1918. Citons encore Le Triomphe de Satan (Сатана Ликующий) (Yakov Protazanov, 1917), Ceux qui mentent à Dieu (Лгущие Богу) (A. Tchargonine, 1917), Les Blanches colombes (Белые голубы) (N. Malikov, 1918), La Montagne des Vierges (La légende de l'Antéchrist) (Девьи горы (легенда об антихристе)) (A. Sanine, 1919).

 

L'enthousiasme créateur du cinéma soviétique  

Mais ce qui est le plus caractéristique de cette période, c’est la mise en place des fondements d’un immense mouvement novateur né dans l’enthousiasme et animé par un grand nombre d’artistes de talent, très jeunes pour la plupart, tous mus par le même désir impérieux de créer un cinéma nouveau au service d’une société nouvelle. Les fondations sur lesquelles s’appuiera le cinéma soviétique des années 25-30, conçues dans cet enthousiasme et malgré les pires difficultés matérielles, sont une réflexion théorique continuelle et exigeante d’une part, une volonté constante d’expérimenter et d’inventer d’autre part. Evoquant cette période, Eisenstein dira plus tard : « Nous nous consacrions au cinéma soviétique, c’est-à-dire à quelque chose qui n’existait pas encore (…) Tout, anciennes activités privées, professions exercées autrefois par hasard, dons insoupçonnés, érudition inattendue, tout fut mis au service de tous, tout contribua à construire quelque chose qui n’existait pas encore, qui n’avait encore ni tradition écrite, ni règles de style précises (…)" Le pouvoir politique, même s’il entendait bien utiliser le cinéma à des fins de propagande, a également encouragé le rôle éducateur du cinéma auprès de la population la plus défavorisée et a laissé aux cinéastes au moins jusqu’à la fin des années 20, une grande liberté de création.

 

Parmi les premiers enthousiastes du cinéma post-révolutionnaire, citons le poète Maïakovski dont 3 scénarios ont été réalisés en 1918 (le plus connu est La Demoiselle et le voyou réalisé par Evgueni Slavinski). Edouard Tissé, le futur célèbre opérateur d'Eisenstein, fut chargé de filmer le premier anniversaire de la révolution et fut aussi responsable du département cinéma du premier "agit-train" créé en 1918.

 

Edouard Tissé

1897 - 1961

 

Le monteur des films documentaires réalisés par Tissé était un jeune cinéaste qui allait faire beaucoup parler de lui puisqu'il s'agissait de Dziga Vertov.

Le couple Tissé-Vertov allait créer un nouveau genre : le cinéma-actualité.

 

Dziga Vertov

1896 - 1954

Parmi les nouvelles personnalités du cinéma citons aussi Lev Koulechov, qui n'avait que 18 ans en 1917, mais avait déjà été l'élève de Evgueni Bauer et était déjà connu comme décorateur. Son premier film Le Projet de l'ingénieur Pright, réalisé en 1918, contient bon nombre d'innovations : le scénario, non inspiré d'une oeuvre littéraire, place l'action dans une société technologique moderne, les acteurs pour la plupart sont non professionnels ou débutants et le montage utilise des procédés nouveaux, première étape d'une réflexion que Koulechov continuera dans les années suivantes.

 

 

 

 Lev Koulechov

1899 - 1970

La naissance "officielle" du cinéma soviétique

L'année 1919 a été marquée par la signature par Lénine du décret du 27 août 1919 qui nationalisait la production et la distribution cinématographiques. En même temps Lénine déclarait : "Le cinéma est de tous les arts le plus important". Cette décision allait pendant plus de 70 ans placer le cinéma soviétique dans une situation sans doute unique au monde : unique par le rôle officiellement attribué au cinéma et les moyens donnés aux réalisateurs, mais aussi par le contrôle presque constamment exercé par le pouvoir politique sur la création cinématographique. L'effet le plus spectaculaire, dans l'immédiat fut l'émigration d'un grand nombre de réalisateurs, de producteurs et d'acteurs (parmi eux Ladislas Starewitch, Yakov Protazanov, Joseph Ermoliev, Ivan Mosjoukine, Alexandre Volkoff, Nathalie Lissenko, Alexandre Khanjonkov). La plupart ne sont pas revenus en Union Soviétique à l'exception notable de Yakov Protazanov et Alexandre Khanjonkov qui sont rentrés en 1923. Protazanov a réalisé dès 1924 son célèbre film Aelita et réalisera de nombreux films de qualité jusqu'en 1943, deux ans avant sa mort.

 

Ecoles, manifestes ou la préparation d'une révolution de l'art cinématographique

La même année 1919, le 1er septembre, le gouvernement crée une Ecole nationale de cinéma (l’une des premières dans le monde et l'ancêtre du VGIK), d'abord dirigée par Vassili Iline puis par le réalisateur Vladimir Gardine, déjà connu à l'époque tsariste (La Sonate à Kreutzeret  Anna Karénine en 1914, Un nid de gentilshommes en 1915, La Pensée en 1916...), qui prit résolument position en faveur du nouveau régime en coréalisant des films engagés comme Le Talon de fer (1919), Faim..., faim..., faim (1921), La Faucille et le marteau (1921).

 

Le 5 décembre 1921, Grigori Kozintsev (16 ans), Leonid Trauberg (19 ans),  et Gueorgui Kryjitski signent le Manifeste de l'excentrisme. Les auteurs qui veulent créer un art nouveau et en particulier rompre avec la mise en scène théâtrale au cinéma, fixent trois objectifs :

 

Grigori Kozintsev

1905 - 1973

- Réhabiliter des formes de spectacles populaires comme le music-hall, la danse, le cirque et l'opérette.

- Diriger autrement les acteurs, rompus à la gymnastique rythmique et à la pantomime.

- Faire voir le monde différemment, en plaçant hommes et objets dans un contexte inhabituel.

 

 

Leonid Trauberg

1902 - 1990

 

En juillet 1922 le même groupe auquel s'est joint Sergueï Youtkevitch (18 ans) fonde à Petrograd (ex Saint-Pétersbourg, futur Léningrad) la Fabrique de l'acteur excentrique. Ils engagent immédiatement deux clowns, un jongleur, deux danseuses, deux acrobates...

 

Sergueï Youtkevitch

1904 - 1985

En 1922, Koulechov quitte l’école de cinéma où il était professeur, entraînant avec lui un certain nombre d’élèves, et crée un « laboratoire expérimental ».

 

Par ailleurs Dziga Vertov, qui dès 1918 a réalisé son premier journal filmé (kinonedelia), rédige en 1919 un manifeste qui sera publié en 1922 dans la revue du Front gauche de l'art (LEF) selon lequel il déclare renoncer à tout héritage littéraire ou théâtral. Il anime, avec sa femme et son frère, « Kino-Glaz » (Ciné-Oeil) un groupe de jeunes cinéastes qui se font appeler les "kinoki".

 

L’année 1922 est aussi celle de la création du Goskino qui achève de faire de la production et la distribution du cinéma un monopole d’état.

 

En 1923 Sergueï Eisenstein publie dans la revue LEF, Le montage des attractions. Ce texte explique que le montage, étape essentielle de la réalisation d'un film doit conditionner psychologiquement et émotionnellement le spectateur.

 

 

Ainsi la période 1918 -1923 a été à la fois une période de réorganisation du cinéma et celle de l’explosion des idées novatrices. Le nombre de films produits est passé de 12 en 1921 à 68 en 1924. Chargé d’une mission politique et éducative essentielle, cet art populaire aux mains d’une élite enthousiaste allait créer dans les années suivantes des chefs-d’œuvre universellement reconnus

 

1924 –1930 l’apogée du cinéma muet soviétique


 

1924 : une année préparatoire

C’est à partir de 1924 que sortent les films qui vont donner au cinéma muet soviétique sa réputation internationale de cinéma révolutionnaire ou d’avant-garde. Les premiers d’entre eux, réalisés en 1924, expriment les premières réflexions de leurs auteurs  notamment sur le rôle du montage et sur le jeu des acteurs :

 

1925 - 1930 : L’Age d’or du cinéma muet soviétique

Mais le premier « grand » film vint l’année suivante avec La Grève de Sergueï Eisenstein (1924, sorti en 1925) dont le célèbre critique russe Mikhaïl Koltsov dira : "Avec La Grève, pour la première fois, notre cinéma a créé quelque chose de révolutionnaire" et de façon plus précise le critique anglais David Sylvester écrit : "L'art de ce film rappelle celui d'un poème qui fut presque son contemporain The Waste Land. Il le rappelle par la même liaison rythmique d'images hétérogènes et par les mêmes images, à la fois naturalistes et symboliques, qui créent le choc par leur superposition" (Newstatement, 11 octobre 1958).  Il fut suivi, par un succès international plus grand encore du même réalisateur : Le Cuirassé Potemkine (tourné en 1925 sortie publique en 1926). Le retentissement international de ce film fut immense : son interdiction dans certains pays (dont la France) attestait sans doute de son efficacité révolutionnaire et ajoutait vraisemblablement à sa notoriété. En 1958 il est choisi meilleur film mondial de tous les temps par 117 critiques internationaux. En 1922 il est classé 4ème film russe er 54ème film mondial par le magazine Sight and Sound du British Film Institue.

L’Age d’or du cinéma muet avait bel et bien commencé et devait durer jusqu’à l’apparition très progressive en URSS du cinéma parlant au début des années trente.

 

Montage, jeu d'acteurs et scénarios

Les cinéastes soviétiques étaient unanimes sur le rôle du montage mais ils différaient sur la façon de l’utiliser. Koulechov fut vraisemblablement le premier à remarquer que la perception d’une image dépendait non seulement de celle-ci mais aussi de celles qui la précédaient ou la suivaient : il monta le même gros plan d'un acteur (Mosjoukine) avec des plans de femme, enfant mort et gâteau; le spectateur croit voir sur le visage de l'acteur un un sentiment à chaque fois différent. Alors qu’Eisenstein excellait dans l’art d’opposer des images contraires pour provoquer sur le spectateur une émotion forte, Koulechov et Poudovkine sont plutôt partisans d’un montage « en douceur » qui crée progressivement une atmosphère.

Le rôle des acteurs est aussi un point de discussion permanent. Vertov refuse la nécessité de l’acteur, Eisenstein considère souvent, au moins dans ses premiers films, que l’acteur est d’abord une présence, une silhouette ou un visage et que pour cela il n’est pas, le plus souvent nécessaire d’utiliser des acteurs professionnels. Dans La Grève et Le Cuirassé Potemkine, les véritables personnages sont des groupes, comme l’ensemble des ouvriers, l’ensemble des dirigeants d’une entreprise, la police… et la perception qu’on a de ces « ensembles » résulte de l’accumulation et de la variété des images de leurs membres que le cinéaste transmet.

Dès 1926, un nouveau "géant" du cinéma muet soviétique était propulsé au devant de la scène : Vsevolod Poudovkine, ancien élève de Lev Koulechov. Après avoir réalisé un court métrage remarqué, La Fièvre des échecs (1925) et un documentaire brillant sur le cerveau humain, il réalise l'un de ses chefs-d'oeuvre La Mère (1926) d'après Gorki. A propos de ce film, il écrit : "Pour ce film je m’efforçai d’abord de me tenir aussi loin que possible  et d’Eisenstein et de presque tout ce que m’avait appris Koulechov. Je ne voyais pas comment j’aurais pu me limiter – moi, avec mon besoin quasi organique d’émotions intimes – à la sécheresse de forme que prêchait Koulechov… Instinctivement, j’étais attiré par les êtres humains, c’est eux que je voulais peindre, c’est leur âme que je voulais pénétrer de même qu’Eisenstein avait pénétré l’âme de son Cuirassé Potemkine".

D'autres jeunes réalisateurs, aujourd'hui mondialement connus, ont commencé leur carrière à cette période. Citons, outre ceux déjà nommés : Boris Barnet, Marc Donskoï, Alexandre Dovjenko, Friedrich Ermler, Abram Room, Sergueï Youtkevitch

                                  

 Dziga Vertov aura toujours une position singulière en refusant la notion même d’acteur et de scénario; son « cinéma-vérité » restera une source de réflexion pour les cinéastes des générations suivantes et son film-phare « sans scénario, sans intertitre » L’Homme à la caméra (1929) est un phénomène vraisemblablement unique dans l’histoire du cinéma mondial. En 1922 le film est classé, par le magazine Sight and Sound du British Film Institute, meilleur film russe et 9ème film mondial.

L’écriture des scénarios fait également l’objet de réflexions qu’animeront notamment les formalistes avec à leur tête Viktor Chklovski et Youri Tynianov.

Les mouvements révolutionnaires de Russie, la guerre civile et les difficultés de la construction de l’état et de la société soviétique serviront de thèmes à de très nombreux chefs-d’œuvres. Regardés souvent à l’étranger comme des témoignages sur un pays mal connu, ces films, même s’ils avaient une fonction éducative, voire militante ou propagandiste, étaient d’abord des œuvres d’art qui touchaient par leur universalité.

Cette période, que nous avons un peu arbitrairement terminée en 1930, se prolonge dans la période suivante qui sera celle de la transition entre le cinéma muet et le cinéma parlant et aussi celle d’un durcissement hégémonique du pouvoir politique.

 

1930 - 1934 : Transition, fin du muet et de l'avant-garde

 

 Cette période correspond approximativement au 1er plan quinquennal (1929-1934), elle est celle de la collectivisation des terres, d'un  durcissement du pouvoir politique et d'un renforcement de son contrôle sur la vie intellectuelle et artistique. de plus en plus contraignant. Elle est marquée par le suicide de Maïakovski et l'absence de 1929 à 1932 d'Eisenstein parti au Mexique (on trouvera dans le dossier-exposition Que viva Mexico de Kinoglaz une description détaillée de cette tragique aventure qui a privé Eisenstein de la possibilité de réaliser le film qu'il avait tourné pendant 14 mois). Cette période s'achève avec le congrès des écrivains qui marque le début du réalisme socialiste (août 1934) et l'assassinat de Kirov (décembre 1934) et le début des grandes purges.

 

Sur le plan du cinéma, cette période est une période de transition entre le muet et le parlant. Dès le début des années trente, les dirigeants politiques soutiennent le développement du cinéma parlant dont ils prévoient l'impact populaire. Pourtant, à cause du coût des investissements nécessaires et de la réticence de certains cinéastes, le passage du muet au parlant se fera très progressivement. Le premier film parlant soviétique est Le Chemin de la vie de Nikolaï Ekk (1931) et par ailleurs Boule de suif de Mikhaïl Romm (1934) et Le Bonheur de Alexandre Medvedkine (1935) sont les deux derniers "grands" films muets.

Pendant cette période, les cinéastes de l'époque précédente ont continué à réaliser des films importants et de nouveaux réalisateurs de talent ont fait leurs vrais débuts. Citons entre autres : Iouli Raïzman, Mikhaïl Romm, Alexandre Medvedkine.

L'enthousiasme militant est encore présent chez certains, tel Alexandre Medvedkine qui sillonne le pays au bord d'un agit-train et réalisera avec Le Bonheur (1935), l'un des films les plus émouvants de cette époque sur la vie à la campagne. Mais une nouvelle réflexion s'amorce, le désir d'innover a parfois fait perdre à certains le contact avec les spectateurs. Ainsi le magnifique film La Nouvelle Babylone (1929) de Kozintsev et Traubeg est accusé d'élitisme. Vertov explique  à propos de son film Trois chants sur Lénine (1934) qu'il a "réussi dans une large mesure à rendre Trois chants sur Lénine compréhensible à des millions de spectateurs." La Feks se dissout. Revenu du Mexique Eisenstein verra divers projets refusés, commencera en 1935 son premier film parlant Le pré de Béjine qui ne sera jamais terminé.

L'année 1934 voit aussi le triomphe d'un autre cinéma soviétique jugé moins intéressant car moins novateur par l'intelligentsia, mais qui remporte l'adhésion du grand public : l'héroisme avec Tchapaev des "frères" Vassiliev et la comédie musicale avec Les Joyeux garçons de Grigori Alexandrov, ancien asistant d'Eisenstein.