Alexandre Dovjenko est né dans l'Empire russe, oblast de Chernigivska (Tchernigov), partie de l'Ukraine, dans une famille paysanne pauvre, illettrée, mais non serve, et douée d’une riche humanité. Son œuvre est d’ailleurs inséparable de ses origines : son père et son grand-père seront les modèles des personnages principaux de ses films, et la terre natale la source de son inspiration poétique et épique .
D’abord instituteur, il fait ensuite des études de commerce à Kiev. De 1918 à 1920, il participe à la guerre civile dans la division « Chtchors ».
Sous le gouvernement bolchevique il devient commissaire à l’Enseignement, aux Beaux-Arts et au Théâtre, puis, en 1921, diplomate à Varsovie, Munich et à Berlin, où il suit les cours du peintre expressionniste Erik Hekkel. De 1923 à 1926, de retour à Kharkov, il se consacre à la peinture, à l’illustration et à la caricature. Il se tourne alors vers le cinéma, qui lui semble le seul mode d’expression visuel de l’avenir, et entre aux studios du VUFKU à Odessa. Sa première œuvre, en 1926, Le Petit Fruit de l’amour est un court-métrage comique. En 1927, il réalise La sacoche du courrier diplomatique , récit d’espionnage qui apparente son film au genre policier. En 1927 aussi, il tourne sa première grande œuvre, Zvenigora, où il révèle la force de son talent lyrique et épique : c’est en douze chants l’évocation de l’histoire prestigieuse de l’Ukraine. En 1928 ; il épouse l’actrice Youlia Solntseva, qui devient son indispensable collaboratrice (elle réalisera entre 1958 et 1965, après la mort de Dovjenko, les films qu’il n’avait pu achever). Il réalise encore deux chefs-d’œuvre du muet, Arsenal (1929), qu’on a comparé à Octobre d’Eisenstein, et La Terre (1930), véritable poème épique et lyrique, célébrant l’accord de l’homme et de la nature, et réflexion philosophique sur la mort, condition de la plénitude de la vie. Son talent étant en parfait accord avec les exigences de son époque, il réalise des chefs d’œuvre de l’art soviétique : Ivan (1932) et Aerograd (1935) sont des hymnes à l’avenir radieux, qui prennent cependant en compte la souffrance des mutations qu’implique l’édification du socialisme. Chchors, en 1939, est considéré comme le chef d’œuvre du réalisme-socialiste stalinien. Cependant, les difficultés auxquelles il se heurte pour le réaliser, l’amènent, pendant la guerre, à se détourner du cinéma : il fait du journalisme et réalise des documentaires de guerre. Mais, en 1943, le scénario d’Ukraine en flammes lui vaut des accusations de défaitisme et de nationalisme et il est frappé d’ostracisme jusqu’à la mort de Staline en 1954. Il se consacre alors à l’enseignement et à l’écriture : La Desna enchantée (1964), récit autobiographique révèlera ses dons d’écrivain et la source poétique de son inspiration. En 1956, soutenu par Khroutchev, Dovjenko prépare le tournage d’un nouveau film, Le Poème de la mer. Mais, avant le début du tournage, il meurt d’un infarctus. C’est son épouse, qui, avec une fidélité scrupuleuse, réalisera le film.
Nous citons ci-dessous deux extraits de l’œuvre autobiographique d’Alexandre Dovjenko, révélateurs de la richesse de sa personnalité et de son amour de la terre natale.
En décembre 1939, il évoque sa carrière. Il y compare et oppose son expérience de cinéaste à celle des jeunes réalisateurs « tout étincelants d’une culture apparente », et « pitoyablement impuissants lorsque la baguette du cinéaste passait entre leurs mains » :
« Je dois dire que cela ne m’est pas arrivé, poursuit-il, encore que j’aie le travail très pénible. Voici seize ans que je tiens cette baguette et, malgré cela, au début de chaque film, il me semble que je ne sais absolument rien faire. Je n’ai jamais été un poltron dans mon art, mais l’appréhension en abordant le travail, l’inquiétude constante sont en moi et ne me quitteront pas aussi longtemps que je vivrai. La création est multiforme et illimitée comme est illimitée et multiforme la vie de notre grande société socialiste dans son développement victorieux. Et aucun talent, aucun génie ne peut rien réaliser dans l’art sans être soutenu par la connaissance, le savoir. Non seulement la connaissance de la spécificité de son art, mais d’abord et essentiellement la connaissance de la vie. Le cinéma exige une assiduité au travail énorme- pas uniquement pendant le tournage, mais durant tout le processu mental de l’élaboration du film. Le cinéma- c’est un art de possédés. » (A.Dovjenko Autobiogaphie, 1939)
Dans La Desna enchantée, A.Dovjenko se rappelle le bonheur de son enfance à la campage, dont il énumère les bruits, la musique, en particulier celle de la faux :
« Encore aujourd’hui, il me semble que si quelqu’un se mettait à battre une faux sous ma fenêtre, je redeviendrais aussitôt plus jeune, plus indulgent, meilleur et je me lancerais dans le travail. Dès mes premières années, le son haut et pur de la faux me prédisait joie et plaisir. …Jusqu’à présent, en fermant les yeux, je ne connais pas l’obscurité. Maintenant encore, mon cerveau éclaire d’une lueur vive et continue le visible et l’invisible qui défile en une suite d’images innombrables, parfois désordonnées. Les images voguent au-dessus du Danube, au-dessus de la Desna. Les nuages dans le ciel volent capricieusement et librement ; ils nagent dans les vastes espaces bleus et s’affrontent en tant de combats et de duels que si je pouvais en saisir seulement une faible partie pour la placer dans la claire rangée de livres ou de films, je n’aurais pas vécu en vain au monde et je n’aurais pas, en vain, chagriné mes supérieurs. » ( A.Dovjenko, La Desna enchantée)