"Ce n'est pas de moi que j'ai envie de parler, je veux observer le siècle, être attentif au bruit et à la germination du temps. Au-dessus de moi et de beaucoup de contemporains pèse le balbutiement de la naissance. Nous n'avons pas appris à parler, mais à bredouiller - et c'est seulement en tendant l'oreille au bruit croissant du siècle, blanchis par l'écume de sa crête, que nous avons acquis le langage." Ossip Mandelstam.
La poésie, comme un couteau, dissèque l’époque. De la mer gelée à Kronstadt jusqu’à Moscou, gronde le bruit du temps. Des lisières calmes au coeur de la ville, quelques voix nous guident à travers poèmes, récits ou documents. On entend les mots d’Ossip et Nadejda Mandelstam, d’Anna Akhmatova, et la colère abrupte de Cassandres du temps présent. Ami, entends-tu est un chant de résistance.
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Commentaires
En 1922, le grand écrivain russe, Ossip Mandestam, disparu en 1938, déporté en Sibérie, écrivait : « Mon siècle, ma bête, qui saura plonger dans tes pupilles ? ». De cette question Nathalie Nambot fait son départ. Cela ne se voit pas d’entrée, mais se confirme au fur et à mesure, aussi lentement que la respiration d’un survivant, son film est une longue dédicace à la lucidité insoumise. Celle d’hier (hier ?) de l’ère stalinienne, jusqu’à la Russie d’aujourd’hui (d’aujourd’hui ?). Enregistrer l’immobilisme, lui opposer le rythme des soulèvements, c’est-à-dire mélanger les temporalités, celle de l’impitoyable permanence de l’horreur, celle du coupant des vers et des cris, c’est son projet. Ambitieux, on l’aura saisi. Et donc modeste, car pour remuer le temps il y faut, sauf à s’égarer dans les bons sentiments, des complicités incarnées. Mandelstam. Nadejda, son épouse, qui, appri par coeur, sauva ses textes de l’oubli. Anna Akhmatova, l’amie. Tous sont témoins, au présent : entendus, redits, offerts à la lecture, vivants à arpenter l’espace de la ville, d’un paysage. Tous, à dire, ce que vous voyez n’est pas l’unique propriété des vainqueurs. Avec eux, le maintenant : évocation du carnage de l’assaut du théâtre de la Doubrovka en octobre 2002, parole publique de Stanislav Markelov, avocat assassiné en pleine rue en janvier 2009.
Nicolas Féodoroff & Jean-Pierre Rehm