Réalisateur,
Scénariste,
Opérateur,
Décorateur
Né en 1961, URSS
 
Décédé en 2016
Evgueni YOUFIT
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Евгений Георгиевич ЮФИТ
Yevgeni YUFIT
Extrait de la filmographie
 
Réalisateur
2004 - Bipédalisme (Прямохождение) [fiction, 90 mn]
2002 - Tués par l'éclair (Убитые Молнией) [fiction, 65 mn]
1998 - Têtes d'argent (Серебрянные головы) [fiction, 82 mn]
1995 - La Chambre en bois (Деревянная комната) [fiction, 65 mn]
1994 - La Volonté (Воля) [9 mn]
1991 - Papa, le père Noël est mort (Папа, умер Дед Мороз) [fiction, 71 mn]
1989 - Les Chevaliers du ciel (Рыцари поднебесья) [fiction, 22 mn]
1988 - Les Monstres du suicide (Вепри суицида) [fiction, 4 mn]
1988 - Le Courage (Мужество) [fiction, 3 mn]
1987 - Le Printemps (Весна) [fiction, 10 mn]
1985 - Le Bûcheron (Лесоруб) [fiction, 6 mn]
1984 - Infirmiers loups-garous (Санитары-оборотни) [fiction, 5 mn]
 
Scénariste
2004 - Bipédalisme (Прямохождение) de Evgueni YOUFIT [fiction, 90 mn]
1989 - Les Chevaliers du ciel (Рыцари поднебесья) de Evgueni YOUFIT [fiction, 22 mn]
1988 - Les Monstres du suicide (Вепри суицида) de Evgueni YOUFIT [fiction, 4 mn]
1988 - Le Courage (Мужество) de Evgueni YOUFIT [fiction, 3 mn]
1987 - Le Printemps (Весна) de Evgueni YOUFIT [fiction, 10 mn]
1985 - Le Bûcheron (Лесоруб) de Evgueni YOUFIT [fiction, 6 mn]
1984 - Infirmiers loups-garous (Санитары-оборотни) de Evgueni YOUFIT [fiction, 5 mn]
 
Opérateur
2004 - Bipédalisme (Прямохождение) de Evgueni YOUFIT [fiction, 90 mn]
1988 - Les Monstres du suicide (Вепри суицида) de Evgueni YOUFIT [fiction, 4 mn]
1988 - Le Courage (Мужество) de Evgueni YOUFIT [fiction, 3 mn]
1987 - Le Printemps (Весна) de Evgueni YOUFIT [fiction, 10 mn]
1985 - Le Bûcheron (Лесоруб) de Evgueni YOUFIT [fiction, 6 mn]
1984 - Infirmiers loups-garous (Санитары-оборотни) de Evgueni YOUFIT [fiction, 5 mn]
 
Décorateur
1989 - Les Chevaliers du ciel (Рыцари поднебесья) de Evgueni YOUFIT [fiction, 22 mn]
 
Site : IMDb

Biographie
Evgueni Youfit est né en 1961 à Léningrad. Depuis le déburt des années 1980, il participe à des expositions en Russie et à l'étranger. En 1984, il crée son studio indépendant "Mjalalafilm" qui rassemble peintres, écrivains et réalisateurs qui sont favorables à une expérimentaion cinématographique radicale. En 1985 il tourne son premier film "Sanitari-oborotni" sorte de manifeste esthétique. Depuis, un certains nombre de films expérimentaux ont été tournés par Mjalalafilm et par Lenfilm et montrés dans différents festivals internationaux. Evgueni Youfit est maintenant présenté comme le maître et fondateur du mouvement "nécroréaliste".
 

Commentaires et bibliographie
- Cinéma russe : l’insolite expérience nécroréaliste David L'ÉPÉE, 2021, revue-elements.com
- CINÉMA RUSSE CONTEMPORAIN, (R)ÉVOLUTIONS , Eugénie ZVONKINE, 2017, Presses Universitaires du Septentrion
- Evgenii Iufit, Bipedalism [Priamokhozhdenie] (2005) 2005, Thomas CAMPBELL, kinokultura.com
- Россия, которую мы придумали , Oleg KOVALOV, 1999, seance.ru
 
- Dennis Ioffe : Le cinéma pathographique d'Evgueni Youfit : l'humour du stiob carnavalesque et au-delà, dans : Eugénie Zvonkine (dir.) : Cinéma russe contemporain, (r)évolutions, Presses Universitaires du Septentrion, 2017

https://www.lesinrocks.com/2018/03/23/cinema/les-introuvables-du-cinema-4-connaissez-vous-le-necrorealisme-111062613/
Entre 1980 et 1990, un mouvement underground a mis le souk dans le cinéma russe : le nécroréalisme. Initié par une poignée d’allumés lors de la perestroïka, il prône le désordre, l’absurdité et la mort. Chef de file de ce courant : Yevgueny Yufit, qui laisse une œuvre iconoclaste aux accents parfois dignes de Dreyer ou Tarkovski.
Totalement inconnu en France, le nécroréalisme n’a rien à voir avec le néoréalisme. C’est un mouvement cinématographique russe né dans les années 1980 à Léningrad. Son nom tourne en dérision le terme “réalisme socialiste”, dont ce courant provocateur a pris le contrepied absolu. Apparu juste avant la perestroïka, vaste chantier de réformes amorçant la fin de l’URSS, il traduit la débâcle en cours sur le mode artistique du lâcher-prise et de l’iconoclasme radical. Branche du ”Cinéma Parallèle” apparu simultanément à Moscou, le nécroréalisme péterbourgeois est plus radical, plus punk. Non seulement, il dézingue l’hypocrisie réaliste socialiste, mais il frôle le nihilisme, voire la nécrophilie, comme son nom l’indique. Venu des arts plastiques, son chef de file, Evgueny Yufit (1961-2016) est le seul à avoir réalisé des longs métrages et à avoir vaguement suivi des cours de cinéma (un stage auprès d'Alexandre Sokurov). Bien que le groupe nécroréaliste compte une vingtaine de membres, seuls les films de Yufit sont aujourd’hui visibles sur la Toile (Viméo, et surtout YouTube, la plupart non sous-titrés). On parle aussi d’un court-métrage mythique au titre charmant, Urine-crazed body-snatchers, d’un autre larron de la bande, Andreï Kumayartsev, mais il reste invisible. Revenons à Yufit, dont la filmographie est constituée d’une flopée de courts et de cinq longs. Au départ, sans doute à cause de l’hasardeuse transition politique des années 1980 en URSS, la surveillance policière avait dû se relâcher, au point de permettre à quelques énergumènes de délirer grave. Au départ, Yufit et ses potes ne sont pas des politiques, mais de gros déconneurs. Genre Jackass version russe, c’est à dire avec plus de vodka que de sauts périlleux. Yufit crée une société de production, Mjalala Film et tourne les exploits de ses sbires à l’arrache, un peu n’importe comment, mais tout de même en pellicule noir et blanc. C'est ce qui fait toute la différence.
Massacres punk et suicide-boys
Le premier court répertorié de Yufit, Infirmiers loups-garous (1984), introduit le thème de la mort sur un ton burlesque. Un marin sort d’un train, une scie à la main. Il se balade dans un bois ; là, des infirmiers surexcités sautant dans tous les sens estourbissent proprement le promeneur avec des pelles. Le tout en noir et blanc charbonneux, sans paroles, et une musique guillerette. Le nécroréalisme est né. Il perdurera pendant une dizaine d’années. Sangliers-suicide (1988) est encore plus absurde et sauvage. Un homme descend volontairement dans un trou pratiqué dans le sol d’un jardin. Un autre arrive et lui verse une bassine d’eau bouillante sur la tête, puis bouche le trou avec une planche. Après un intermède patriotique (défilé d’enfants, de militaires, d'avions), survient un second “suicide assisté” : dans une chambre d’hôpital, un personnage alité ouvre la fenêtre à un homme, qui le tue avec un dispositif muni de petites flèches. Cela donne une idée de la folie du truc. Citons encore Lesorub (1985), où le cinéaste mêle à nouveau du found footage héroïco-pseudo-hollywoodien à des séquences de sauvagerie incohérente (plus pendaison), mêlées à une cacophonie punk tout à fait adéquate. Pour les amateurs puristes, le nec plus ultra, ce sont les courts métrages de Yufit, car ils n'offrent pas la moindre concession au romanesque. Ils sont bêtes, méchants, amoraux et WTF. Mais de notre côté, nous préférons tout de même la forme plus policée de ses longs métrages. Quand on dit “policé”, tout est relatif. Les longs plus fluides, plus consistants, quoique parfois difficiles à suivre (en particulier sans sous-titres), préservent la crudité et la cruauté de ce cinéma.
Un conte vampirique à la Dreyer
Le premier long de Yufit, Papa, le Père Noël est mort ! (1991), est une manière de chef-d’œuvre, une adaptation synthétique de La Famille du Vourdalak, une histoire de vampires d’Alexeï Tolstoï, déjà adaptée par Mario Bava. La charte visuelle du nécroréalisme y est respectée à la lettre, notamment le noir et blanc contrasté et granuleux. Après un prologue où un homme est capturé et tué dans un souterrain baignant dans l’eau, un scientifique rend visite à des cousins à la campagne. Là, il découvre d’inquiétants hommes en costume dans les champs. Chez sa famille de paysans aux yeux cernés, plongés dans la catatonie, quelque chose de pas très catholique se trame. L’aspect brut et primitif de l’image, les cadrages jouant génialement avec l’arrière et le premier plan, nimbent de mystère et d’angoisse cette œuvre peu dialoguée où le fantastique est surtout suggéré. On pense fortement à Vampyr de Dreyer ; ce film obsédant en est le jumeau déconstruit. Les autres longs-métrages de Yufit sont plus ésotériques car, bien que plus dialogués, ils restent narrativement assez abscons. Têtes d’argent (1999), co-réalisé par le scénariste du film, Vladimir Maslov, est plus axé sur le masochisme. Il délire en partant d'un postulat pseudo-scientifique qui, si on a bien compris, imagine une hybridation entre les hommes et les arbres. D’où des séquences saugrenues et récurrentes, comme celle où un homme nu est assis dans un habitacle tapissé de pieux acérés qui entrent et sortent de son corps. Le tout étant filmé par une caméra de surveillance.
Le logo de Mjalala Film
Une vague néo-archaïque mondiale
Tué par la foudre (2002) est formellement plus harmonieux et travaillé, avec une image sépia. Apparemment, il illustre les traumas affectifs d’une anthropologue qui étudie l’évolution de l’humanité. On assiste notamment aux manigances nocturnes de deux hommes nus dans l’eau, qui alternent avec des scènes de famille et d’autres de style héroïque, qui se déroulent dans un sous-marin de guerre. La présence féminine est ici plus importante, qui est rare dans cette œuvre aux accents homo-érotiques (tout semble prétexte à la nudité masculine). Mais Yufit n’est pas un prophète hurlant dans le désert, un bénédictin du trash venu de nulle part. En Russie même, il a eu des prédécesseurs géniaux, dont il suit la trace de façon instinctive : notamment Tarkovski (surtout Stalker) et Sokourov (cf. l’insensé Jours de l’éclipse), mais aussi Alexeï Guerman. Evidemment, et Yufit le reconnaît, la primitivité de son cinéma se réfère au passé, notamment aux œuvres de Buñuel et de l’avant-garde française des années 1920. Mais il avait aussi des contemporains aux recherches similaires un peu partout dans le monde. Dans les années 1980-90, tout un courant néo-archaïsant voit le jour, auquel on peut rattacher son travail. Une des constantes de cette mouvance étant une fascination passéiste pour le noir et blanc, signe d’un rejet du réel et d'une peur du futur technoïde qui s'annonçait. Cela a commencé vers la fin des seventies aux Etats Unis, avec David Lynch (Eraserhead). Puis il y a eu Guy Maddin au Canada, les frères Quay (nés aux Etats Unis) en Angleterre, ou le tandem Cipri et Maresco en Sicile. En France, un cinéaste remarqué avec son premier long métrage perpétue actuellement ce culte étrange et trash : Bertrand Mandico. Cela n'empêche pas le nécroréalisme et surtout l’œuvre de Yufit d'être ignorés en France alors que le cinéaste russe a déjà eu l'honneur – entre autres – d'une rétrospective en 2001 à l’université de Pittsburgh, de l'exposition consacrée au nécroréalisme (comprenant un volet arts plastiques) au Musée d’art moderne de Moscou en 2011, et de l’acquisition de certaines de ses œuvres par le Moma de New York. Le maître du nécroréalisme est mort à 55 ans, mais son œuvre reste bien vivante. Espérons que quelques éditeurs/distributeurs curieux et ouverts finiront par s'en rendre compte.