Boris BARNET
Борис БАРНЕТ
Boris BARNET
Konstantin YOUDINE
Константин ЮДИН
Konstantin YUDIN
URSS, 1957, 100mn 
Couleur, fiction
Le Lutteur et le clown
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Борец и клоун

 

 A Wrestler and a Clown

 Borets i kloun

 
Réalisation : Boris BARNET (Борис БАРНЕТ), Konstantin YOUDINE (Константин ЮДИН)
Scénario : Nikolaï POGODINE (Николай ПОГОДИН)
 
Interprétation
Iya AREPINA (Ия АРЕПИНА)
Grigori CHPIGUEL (Григорий ШПИГЕЛЬ)
Aleksandr_2 MIKHAILOV (Александр_2 МИХАЙЛОВ) ...Anatoli Dourov, le clown
Boris PETKER (Борис ПЕТКЕР)
Anatoli SOLOVIEV (Анатолий СОЛОВЬЕВ)
Stanislav TCHEKAN (Станислав ЧЕКАН) ...Ivan Poddoubny, le lutteur
Gueorgui VITSINE (Георгий ВИЦИН)
 
Images : Sergueï POLOUIANOV (Сергей ПОЛУЯНОВ)
Décors : Vassili CHTCHERBAK (Василий ЩЕРБАК), B. ERDMAN (Б. ЭРДМАН)
Musique : Youri BIRIOUKOV (Юрий БИРЮКОВ)
Ingénieur du son : Viktor ZORINE (Виктор ЗОРИН)
Production : Mosfilm
Spectateurs : 22,1 millions de spectateurs
 
Site : IMDb

Synopsis
Le port d’Odessa : mouvement ininterrompu des voyageurs et des dockers qui transportent d’énormes ballots. Surgit un colosse au regard tendre : il arrive de son village, chargé de ses paquets. Nikitka, l’un des dockers le salue du nom d’ « Ivan le grand » mais le groupe des travailleurs, qui craint un concurrent aussi redoutable, le rejette. Ivan Poddoubny s’éloigne, en quête d’un emploi digne de sa force. L’affiche du cirque Trucci annonce un championnat de lutte. Sur le chemin du cirque, il rencontre Anatoli Dourov, à la recherche lui-même d’un emploi de clown. Les deux hommes se lient d’amitié, entrent au cirque dans une atmosphère fracassante : le directeur chasse à grands cris Orlando, l’amoureux de sa fille, « un va-nu-pieds ». Sur la piste, il entraîne brutalement une jeune trapéziste, épuisée. Ivan protège la jeune fille, puis obtient un contrat de lutteur pour lui et une mise à l’essai pour le clown. Le bonheur semble devoir combler les jeunes gens. D’abord Dourov exécute un véritable numéro d’artiste, avec une grâce et une finesse qui ravissent le public. Ivan favorise les amours d’Esthérina et Orlando, noue une idylle avec Maroussia, dite « Mimi », la jeune trapéziste. Puis il triomphe en 32 secondes de « Masque noir », le champion de la lutte.
Cependant, les catastrophes se multiplient : jaloux, les deux clowns attitrés mettent de la chaux dans la boîte à poudre de Dourov ; le visage brûlé, il ne peut exécuter son numéro. Le lendemain, le directeur contraint Maroussia à remplacer au trapèze sa fille Estherina qui s’est enfuie avec Orlando. Maroussia prise de vertige au sommet du chapiteau, tombe et meurt. Ivan, inconsolable, doit pourtant rester au cirque pour honorer son contrat. Mais Dourov quitte Odessa et entreprend une tournée pour le cirque Salomonski. Son fils, meurt au moment où il doit se produire pour la première à Moscou. Le clown est contraint de faire son numéro. Puis, désespéré, il démissionne…
Un an plus tard, de retour à Odessa, Dourov fait une parade pour annoncer son spectacle : il traverse la ville en carriole, tiré par un cochon, pour la grande joie des passants, mais à l’indignation du gouverneur de la ville. La police lui interdit « de dresser des animaux en liberté » . Il est expulsé de la ville, mais entreprend une tournée internationale qui lui apporte la gloire. De son côté, Ivan est sollicité par un impresario pour affronter à Petersbourg le champion français de la lutte, René Boucher. Celui-ci s’est enduit d’huile d’olive : Ivan refuse de poursuivre la lutte, et Boucher est proclamé vainqueur.
Ivan rentre chez lui à la campagne. Il reprend les travaux des champs, se fiance à Alionka, une jeune et jolie paysanne. Un cirque plante ses tréteaux sur la place du village : la famille d’Ivan l’entraîne au spectacle malgré lui. Le personnel du cirque l’ovationne, et Ivan, repris par le démon du spectacle, rejoint les lutteurs sur la piste. Il fait ses adieux au village.
On le retrouve à Paris, célèbre. Il doit de nouveau se battre contre Boucher. Frisch, l’impresario, imagine une nouvelle ruse pour que Poddoubny perde le match : il demande à la jolie Estherina, devenue parisienne, d’enivrer Ivan avant le combat. Celle-ci feint d’accepter, mais complice indéfectible de son vieil ami d’Odessa, elle boit avec lui du thé. Ivan remporte la victoire. Retour à Odessa du lutteur et du clown. Les dockers les accueillent avec des gerbes de fleurs.
 

Commentaires et bibliographie
 
« Ivan Poddoubni fut le plus connu des lutteurs russes ; Anatole Dourov devint célèbre comme clown et artiste satirique ; l’idée était bonne de mettre en scène la vie et l’œuvre de ces deux artistes de talent. » Pravda, 3 janvier 1958. « Le lutteur et le clown est un très bon film. L’atmosphère de l’ancien cirque est très bien rendue, le film est romantique et soutient l’intérêt (…). Derrière un thème touchant et plus d’une fois parodié, nous est transmis un sentiment humain en même temps que le conservatisme formel du cirque. » Sous le schéma traditionnel Iskousstvo kino, n° 1958 « Barnet, cinéaste sportif ? En tout cas, nombre de ses films témoignent de son attachement au corps, à la performance et à l’engagement physique de ses acteurs (Barnet aura beaucoup plus tard ces mots merveilleux : « Un acteur ne doit pas jouer, il doit agir »), que ce soit l’ouvrier de la Jeune fille au carton à chapeau qui s’entraîne seul dans sa chambre vide ou bien les deux compères de Au bord de la mer bleue qui entament une danse endiablée pour fêter le retour de Macha. Barnet n’est pas venu au cinéma par la voie royale, celle qui en a fait un art noble (peinture, littérature, musique) mais par celle du sport, du spectacle de foire, à l’image des grands burlesques (et acrobates) du cinéma muet américain. Barnet rendra d’ailleurs hommage à son premier métier dans le très beau et très émouvant Le Lutteur et le clown, qui est un peu à son œuvre ce que French-Cancan est à celle de Renoir ou bien Limelight à cellede Chaplin, cinéastes qu’il aimait beaucoup ». (B comme Burlesque, Charles Tesson, in Boris Barnet (Ecrits, documents, filmographie), Ed.du festival international de Locarno, 1985).

Commentaire de Kinoglaz :
Chef-d’œuvre du réalisme dont Barnet avait le génie, Le Lutteur et le clown met en scène la « lutte pour la vie » de deux prodiges du cirque. Le mélodrame, conventionnel, tire son pouvoir d’émotion de la vérité des sentiments des personnages, jamais monolithiques. On est bouleversé par la misère des gens du spectacle soumis à la cupidité brutale des directeurs de cirque, qui traitent les hommes comme ils traitent les animaux de leur ménagerie : sans le moindre égard pour leurs faiblesses, leurs souffrances, les drames de leur vie privée. Ivan et Dourov doivent exécuter leur numéro, au moment même où le deuil les frappe de plein fouet : « Le spectacle continue ». La générosité des héros, conventionnelle également, tire sa force de la médiocrité même des personnages, conduits à commettre des actions infâmes pour survivre. C’est ce que dit Enrico, le clown traître à Dourov, lorsqu’il vient lui avouer son forfait, un an plus tard, à Moscou : « C’est ainsi depuis toujours : on coule ses concurrents. Tout le monde le fait. ». Les tyranniques directeurs de cirque eux-mêmes sont pressés par l’obligation de satisfaire le public. L’univers du spectacle est implacable pour tous.
Le film est aussi une satire sociale. Ivan, le lutteur, et Dourov, le clown, incarnent deux vertus complémentaires : la loyauté et l’humour. Le lutteur affronte la vie et ses ennemis de face, dans l’honneur que garantit sa force authentique. Il lutte contre « la tromperie » du spectacle. Le clown, lui, utilise cette « tromperie » sur le mode burlesque pour dénoncer la comédie sociale en la mimant avec la complicité de sa troupe de cochons dressés : il leur fait porter des casquettes de fonctionnaires, il parade en roi de mascarade, dans sa carriole ornée de rubans, tirée par un gros cochon rose, dont le spectacle évoque irrésistiblement la parade prétentieuse du gouverneur de la ville. Il l’affirme : il est bien « le roi des clowns », mais il n’est pas « le clown des rois ». Le cirque met en scène la condition humaine : l’amour du risque du lutteur y exalte la contrainte imposée par la nécessité vitale qui dicte à tous sa loi ; la caricature porcine imaginée par Dourov de la respectabilité sociale, source d’humiliations pour les laissés-pour-compte, venge les pauvres de la bouffissure des riches. Le peuple des dockers, qui ouvre et ferme le film symbolise cette victoire des pauvres, conquise, sur la scène du cirque, par leurs représentants : tous chargés de lourds fardeaux et d’hostilité au début, ils fraternisent dans l’épilogue, parmi les gerbes de fleurs éclatantes.
La passion du cirque est la passion pour la vie. Ivan ne peut résister à l’appel de la piste, Dourov triomphe du deuil avec sa troupe d’animaux dressés, Maroussia est morte en scène : elle avait choisi son destin.
Le scénario est construit avec une grande rigueur. La séquence du port, en ouverture, met en place le motif de la misère sociale, et suggère la malveillance, née du besoin, qui dresse les pauvres les uns contre les autres. Les séquences sont construites en miroir, participant de l’intensité dramatique. La scène de répétition au trapèze de Maroussia annonce la scène publique où la jeune acrobate, saisie de vertige, s’écrase au sol. Le désespoir d’Ivan devant le cadavre de la jeune fille dans les coulisses prépare celui de Dourov, dans sa loge, apprenant la mort de son fils. Les contrastes créés par l’alternance des scènes tragiques et comiques donnent une tonalité fataliste au récit (par exemple, la parade de Dourov dans les rues d’Odessa, grotesque et scintillante de couleurs pastels, qui suit la scène de la mort de son fils, filmée dans l’obscurité). Deux séquences en écho placent Ivan dans le public, lors des combats des lutteurs : c’est d’abord, à Odessa, un subterfuge de théâtre, qui prépare la victoire d’Ivan, le lutteur inconnu, sur le célèbre « Masque noir », et inaugure sa carrière . La deuxième fois, c’est, au village, le triomphe involontaire du lutteur, spectateur incognito, que sa renommée rappelle malgré lui sur la piste. Le leitmotiv des cochons roses enfin, constitue un paradoxe irréductible, emblématique de la tragi-comique « lutte pour la vie » : esclaves au service de Dourov, double parodique, dans sa fonction de maître de la troupe animale, du « gouverneur vert » d’Odessa, les porcs s’engraissent grâce à lui, comme Dourov se nourrit du pouvoir du gouverneur qui, tourné en dérision, lui assure son succès de clown. Cycle « enrubanné » de la nature, où les forts et les faibles se parasitent les uns les autres pour continuer à exister, la fable du cirque raconte la vie selon Barnet, cet optimiste lucide qui voulait, dans ses films, « rendre vraiment l’homme ».

Sélections dans les festivals ou événements :
- Films sur le sport, kinoglaz.fr (France), 2024
- Rétrospective Boris Barnet à la Cinémathèque française, Paris (France), 2024
- Les films du Dégel : 1953-1968, kinoglaz.fr (France), 2023
- Festival du film russe pour une autre Russie (anciennement Festival du film russe Paris et Ile de France), Paris (France), 2016
- Festival 'Il Cinema Ritrovato', Bologne (Italie), 2011
- Festival international Ciné Junior, Val de Marne (France), 2010
- Festival international du film de Berlin : Berlinale, Berlin (Allemagne), 1988

Images et vidéos
 
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