Biographie, articles et interviews de Joël Chapron


"Il y a, en Russie, une inadéquation entre les films et le public."

Interview de Joël Chapron,

responsable à Unifrance des pays d'Europe centrale et orientale et «correspondant étranger» du Festival de Cannes par Elena Kvassova-Duffort et Jacques Simon (Kinoglaz), Paris, le 3 mai 2011.

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Nous avons assisté à la présentation à Moscou de votre étude Les Principes et mécanismes de financement du cinéma français, écrit en collaboration avec Priscilla Gessati. La présentation a eu beaucoup de succès. Qu’est-ce qui a conduit Alexandre Mammout à vous commander cet ouvrage ?

Je pense que cela est venu du constat que les Russes parlent du modèle français et ne savent guère, voire pas du tout, comment il fonctionne. Il y a une espèce de mythe, de légende autour de ce modèle que, en période de réformes cinématographiques, on cite à tout bout de champ. Alexandre Mamout a de multiples activités, dans tous les domaines, notamment une maison d’édition. Il est, par ailleurs, propriétaire du cinéma Pioner à Moscou qui vient d’entrer dans le réseau Europa-Cinemas. Il m’a demandé une étude pour lui, à titre personnel, ce que j’ai fait fin décembre, début janvier, en collaboration avec Priscilla Gessati. On la lui a remise le 25 février, traduite en russe. Début mars, il m’a dit qu’il était très content du résultat et qu’il allait la publier sous forme d’un petit livre distribué gratuitement aux personnes intéressées. Il m’a ensuite proposé de venir à Moscou le 23 mars pour présenter le livre. Près de deux cents personnes issues des différentes branches de l’industrie cinématographique, toutes générations confondues, ont répondu présent, des gens que l’on ne voit plus dans les manifestations comme Marlen Khoutsiev, Armen Medvedev, Garri Bardine, mais aussi Irina Rakhmanova, Alexandre Atanessian, Sergueï Tolstikov, Daniil Dondoureï, Nana Djordjadzé, Irakli Kvirikadzé, Svetlana Proskourina, Alexeï Guerman Jr., Andreï Zviaguintsev, Sergueï Loznitsa, Olga Dykhovitchnaïa... C’est ainsi qu’est née l’histoire du livre : donner le maximum d’informations aux Russes sur le système de financement du cinéma français.


À votre avis, combien des gens ont lu le livre ?

Je n’en sais rien. Il a été tiré à 1 500 exemplaires et je crois que plus de la moitié sont déjà partis. De plus, pour élargir le cercle des lecteurs potentiels, Alexandre Mamout a décidé de le mettre en ligne sur l’excellent site www.kinobizon.ru. Je pense que trois ou quatre dizaines de gens l’ont lu en entier, mais le but est que chacun puisse trouver des réponses à ses questions. Il s’agit plus d’un manuel : il ne compte que quatre-vingt-dix pages, mais il dispose surtout d’une table des matières très précise pour ceux qui cherchent des informations. Le but de Mamout était aussi que le livre parvienne aux politiciens afin qu’ils réfléchissent sur les lois. Néanmoins, j’ai mis dans l’introduction deux phrases qui me paraissent essentielles : premièrement, cela fait soixante-cinq ans que le système français existe et qu’on continue de l’adapter et de l’affiner (c’est pour cette raison qu’il est aussi complexe, mais performant) ; deuxièmement, je ne suis pas sûr qu’en n’empruntant que quelques mesures éparses, le résultat soit à la hauteur des attentes. C’est l’interconnexion des nombreuses mesures existantes qui les rend efficaces.


Pour l’instant, le système de financement du cinéma russe ne ressemble pas beaucoup au système de financement du cinéma français. Et on a plutôt l’impression que la mainmise de l’État russe sur l’industrie cinématographique s’est renforcée ces derniers temps. Y a-t-il une chance que les Russes s’inspirent du système français ?

Au départ, le livre et le système de financement russe n’étaient pas faits pour se croiser. Le livre est là pour donner une description du système français. Le nouveau système russe a été inventé avant que le livre n’existe et, même si le livre avait existé avant, je pense qu’ils auraient inventé ce système, indépendamment du système français.
Je pense que vous avez raison, il y a une mainmise au moins aussi forte qu’avant dont je n’arrive pas à savoir, au final, quelle direction sera la plus importante. Est-ce le financement des huit sociétés majors qui est primordial ou bien la production de films « socialement utiles » ? J’avais l’impression que l’essentiel du système portait sur le financement des huit majors. Et je suis en train de me demander si les films « socialement utiles » ne sont pas traités de façon aussi importante, sinon plus.

C’est très difficile de tirer aujourd’hui le bilan de ce qui s’est fait : le bilan officiel est censé être fait en automne 2011. À ma connaissance, il n’y a encore aucun film terminé qui ait été produit dans le cadre ce nouveau système – bien que la participation du Fonds soit déjà créditée au générique de plusieurs films.

Dans les diverses interviews que j’ai pu lire, Viatcheslav Telnov, le nouveau directeur du Département du cinéma au ministère de la Culture (ex-Goskino), disait, en avril, que le ministère de la Culture manquait cruellement d’argent pour financer autre chose que les Majors, parce que (c’est ce qui est paradoxal) c’est le ministère de la Culture qui continue de financer les majors. L’argent est, de fait, toujours au ministère de la Culture : c’est ce dernier qui l’affecte au Fonds. Cet argent, aujourd’hui fléché, ne peut pas servir à autre chose que ce pour quoi il a été affecté, à savoir les huit majors.


Les films « socialement utiles » passent-ils par les majors ?

Ils passent par les majors mais sur un budget spécial. Il faut savoir, de plus, que les majors n’ont pas les mêmes obligations vis-à-vis de ces films. À partir du moment où les majors se mettent à produire des films, elles sont obligées de rembourser une partie des sommes sur les recettes, ce fameux retour sur investissement qui est le principe de base pour que les films des Majors dans deux-trois ans puissent s’autofinancer. Or les films « socialement importants » sont censés être exonérés de cela, et les majors ne sont pas censées avoir leur note annuelle revue à la hausse ou à la baisse en fonction du succès de ces films-là. Au départ, il y a cent cinquante millions de roubles qui ont été attribués à chacune des huit majors, à parts égales. Mais, à partir de 2012, en principe celles qui sont les plus performantes auront plus d’argent, celles qui sont moins performantes auront moins d’argent et il est possible que certaines disparaissent de la liste des huit et que d’autres y apparaissent [1]. Et, pour noter tout ça, on ne va pas prendre en compte les films « socialement importants » qui sont un peu en dehors de toute notation publique : on ne va noter les majors que sur les films produits à leur demande.


Et la liste de critères selon lesquels ces films ou ces studios seront jugés, existe-t-elle déjà ? Il y avait un certain flou.

Oui, il y avait un certain flottement. Je crois que maintenant c’est arrêté sans vraiment l’être. C'est-à-dire qu’on a mis en place un certain système de grilles, mais on continue à se poser des questions sur la liste des critères. Et je n'exclus pas que cette liste change, y compris dans les mois à venir [2]. Il est possible qu’on ajoute des critères, comme par exemple la vente des DVD légaux. Ce n’est pas parce que le film n’a pas eu beaucoup de succès en salles qu’il n’a pas de succès ensuite.


Dans la production des dernières années on compte très peu de succès en salles. Sauf Lioubov-Morkov 3 peut-être…

Nasha Russia a très bien marché l’année dernière, Elki aussi, mais ces succès ne sont pas du tout à la hauteur des espoirs des producteurs. Et, encore une fois, ils ont été produits en dehors du Fonds de soutien au cinéma. La logique du Fonds est qu’il y aura une plus grande vigilance à tous les niveaux de la production, à partir du scénario. Et donc le film, en théorie, sera mieux qualitativement, parce qu’il sera passé entre plus de mains…


Pourtant certains critères objectifs ne sont pas encore remplis. Le nombre de salles n’a pas considérablement augmenté depuis l’année dernière. Il existe pourtant un nouveau projet de Fiodor Bondartchouk et Edouard Pitchouguine de construire des salles de cinéma dans les petites villes.

Depuis l’année dernière, il y a environ 250 nouveaux écrans - c’est beaucoup. On estime que le parc des salles, à la fin du mois de décembre 2010, était de 2 420 écrans répartis dans 865 cinémas situés dans 137 villes. Ce n’est pas seulement le nombre d’écrans qui est important : c’est qu’il puisse y avoir un maillage important. 137 villes de Russie, c’est beaucoup. Toutes les villes de plus de 250 000 habitants ont à nouveau au moins 1 cinéma. Et Moscou et Saint-Pétersbourg ne regroupent que 28 % des écrans - ce qui montre que le cinéma et l’exploitation cinématographique se développent en province à très vive allure. Le projet de Bondartchouk est censé renforcer cette tendance, puisque son but est de donner accès au cinéma aux villes d’environ 150 000 habitants et de descendre le palier.

Ce qui ne change pas vraiment, c’est la diversité de l’offre cinématographique, car l’augmentation du nombre d’écrans se traduit surtout par une augmentation du nombre de copies par film. Il y a plus de gens qui vont au cinéma, c’est indéniable. Le prix du billet continue à s’envoler, notamment avec les films en 3D. Aujourd’hui, le prix moyen du billet est de 6 dollars, soit 4,2 -4,3 euros – ce qui est cher. On a une fréquentation en hausse, des recettes en hausse, un nombre d’écrans en hausse, un nombre de films en hausse (il doit y en avoir 10 % de plus chaque année sur les écrans). Et pourtant, il n’y a pas de diversité qui puisse être assurée d’une année sur l’autre. Le top 10 des films en Russie concentre toujours plus que le top 10 en France : cela veut dire que, quand vous prenez les dix premiers films qui ont remporté le plus de succès en Russie et que vous prenez les dix premiers films qui ont remporté le plus de succès en France, le nombre de spectateurs de ces dix-là est proportionnellement plus important en Russie qu’en France, ce qui montre une extrême concentration sur les très gros titres et moins de diversité. Même si la diversité est quand même réelle : l’année dernière, 338 nouveaux films sont sortis sur les écrans russes.


Pour ces 338 films, il s’agit uniquement de films de fiction ?

Il s’agit uniquement des films de long métrage [films de + de 60 min – Kinoglaz], donc on est à 97 % de films de fiction. Il y a très peu de documentaires, quelques dessins animés. En France, on compte 5 500 écrans contre 2 400 en Russie, soit plus de deux fois plus d’écrans. Sont sortis l’année dernière 550 nouveaux films en France contre 338 en Russie. Le rapport du nombre des films au nombre d’écrans est donc plus élevé en Russie qu’en France.
Le problème aujourd’hui, c’est l’accès aux salles des films, surtout l’accès aux salles des films russes, car des films non américains, des films européens, des films français, des films japonais ont fini par se trouver une certaine niche avec quelques salles à Moscou, à Saint-Pétersbourg, à Novossibirsk, à Rostov, à Nijni-Novgorod, à Kaliningrad où il y a quelques salles qui projettent des films « alternatifs », c'est-à-dire non américains et pas les blockbusters. Il y a aussi des films d’auteur américains qui ne trouvent pas leur place dans les multiplexes russes. Cela m’est difficile de dire aujourd’hui combien de salles en Russie peuvent présenter des films d’auteurs européens ou japonais, mais je pense que ça ne doit pas dépasser une dizaine de cinémas dans le pays, une quinzaine peut-être. Donc la part est très réduite. Or, sur les 338 films qui sont sortis, il doit y avoir un peu plus que 70 films russes officiellement, dont une cinquantaine qui sont passés à la trappe. Il y eut récemment un excellent article de Larissa Malioukova avec, à la fin, une liste de cinquante films russes de 2010 avec la question « Les avez-vous vus ? » Et même moi, qui en ai vu beaucoup, je ne les ai pas tous vus. Il y en a même dont je n’ai jamais entendu parler ! Cela pose un vrai problème.


Les films d’auteur russes n’ont-ils pas trouvé une petite niche à la télévision, car ils sont montrés à une heure tardive et même discutés comme dans l’émission Zakryty pokaz ? Est-ce que cela aide à les populariser ?

Oui, mais cela ne remplace pas le public qui va en salles. Le problème est là : pour l’instant, on construit des salles de cinéma, mais cela ne fait qu’accroître le nombre des spectateurs qui ont accès aux salles de cinéma. Cela n’élargit ni les couches sociales, ni les tranches d’âge. L’essentiel des spectateurs a entre 14 et 21 ans et, si vous construisez une salle à Tobolsk, vous allez attirer les spectateurs de 14 à 21 ans de Tobolsk qui n’allaient pas au cinéma avant. Vous ne récupérez pas les 21-48 ans. On voudrait qu’il y ait des incitations de la part des pouvoirs publics qui sont censés aider financièrement les cinémas à projeter autre chose que le tout-commercial. Pour l’instant, il n’y a pas vraiment d’incitations de la part des pouvoirs publics, hormis celles de tel gouverneur de région ou de tel maire qui aiment le cinéma.

L’Union européenne a mis en place le système Europa-Cinemas qui est, à mon sens, le système le plus intelligent qui soit, justement pour assurer la diversité : en fonction d’un certain pourcentage de séances et de films européens non nationaux projetés, la salle de cinéma est aidée financièrement. C’est un programme de l’Union européenne pour les films européens, mais on pourrait imaginer que le ministère de la Culture ou le gouvernorat de Saint-Pétersbourg, par exemple, proposent aux salles de cinéma de Saint-Pétersbourg que s’ils projettent 30 % des séances et 30 % de films russes, ils seront aidés financièrement pour combler un déficit éventuel commercial. Tout est inventable et tout est imaginable : après, c’est une question de volonté politique. Tant qu’il n’y a pas de réelle volonté politique d’aider à la diversité - que ce soit la tranche d’âge de spectateurs, leur classe sociale ou une origine géographique des films -, le problème ne sera pas réglé. La fréquentation des salles de cinéma est aussi liée au fait que la tranche supérieure, c'est-à-dire les plus de 25 ans, ne trouvent pas a priori les lieux particulièrement conviviaux et agréables.


Mais, si un exploitant projette un film russe dans une salle vide, ce ne sera pas non plus une solution au problème.

Ah non, ce ne sera pas la solution. Mais changer le profil d’une salle de cinéma signifie aussi, en théorie, changer le profil des spectateurs de la salle en question. Donc cela est censé attirer d’autres spectateurs. Le profil des spectateurs du cinéma « 35 mm » à Moscou n’est pas le profil des spectateurs du centre commercial Evropeïski (situé près de la gare de Kiev, à Moscou). Chaque salle peut avoir un certain profil de spectateurs. Et ,pour cela, il faut les aider un peu, parce que, au départ, cela risque d’être compliqué.

Aujourd’hui, les films russes qui marchent sont les films russes qui sont destinés au public des 14-21 ans. Mais cela ne concerne pas que les films russes : cela concerne tous les films. Aujourd’hui, un film de Clint Eastwood est considéré en Russie comme un film d’auteur difficile. Il y a une inadéquation entre la majorité des films et le public qui va aujourd’hui au cinéma. On peut être très content des chiffres : il y a plus de salles de cinéma, plus de spectateurs en salles, plus d’argent généré par le cinéma chaque année, mais au final il y a toujours cette inadéquation entre les spectateurs et les films proposés. Et c’est presque toujours les films russes qui en pâtissent le plus, aussi parce que, à un certain moment, le public des 14-21 ans s’est détourné des produits russes et qu’au final ils préfèrent les produits américains standardisés.


Quel film russe a eu le plus de succès dernièrement ici en Europe ? Avez-vous des chiffres ?

L’année dernière, c’est Le Dernier Voyage de Tania qui, en France, a été le plus gros succès : il a attiré plus de 60 000 spectateurs, ce qui le met en 7e ou 8e position de tous les films russes sortis en France depuis le début des années 2000.
Sinon, il est toujours intéressant de suivre la carrière des fameux blockbusters russes : par exemple L'Éclair noir, qui a été un énorme succès en Russie, n’a eu en France qu’une sortie technique. La société qui l’avait dans son catalogue, UIP (United International Pictures France), s’est trouvée obligée de sortir le film, comme ce fut le cas avec Day Watch. Ils ont sorti le film sur une trentaine de copies, mais sans campagne publicitaire, pas d’affiches, rien du tout. Le film n’a attiré que 1 077 spectateurs (selon Le Film français) ! Est-ce que cela aurait marché avec de la publicité, je n’en sais rien. L’Éclair noir n’est pas pire que certains films américains qui auraient fait 600 000 entrées en France. C’est plutôt bien fait : techniquement, comme on dit, « ça tient la route ». Le film de Slava Ross, Sibérie Monamour, est sorti sur 8 copies… presque sans publicité.


Deux faits récents remarquables : l’entrée de la Russie dans Eurimages (ce qui est censé favoriser les coproductions) et l’achat par Alexandre Rodnianski de la société de distribution allemande A COMPANY. Peut-on affirmer que ces deux faits marquent une nouvelle volonté de l’État russe d’internationaliser l’industrie cinématographique nationale ?

Pour ce qui est d’Eurimages cela fait plusieurs années que la Russie souhaite entrer dans Eurimages et que le Conseil de l’Europe est d’accord. Pour ce faire, la Russie devait payer une contribution financière qui est calculée à la fois sur le niveau économique du pays et sur le niveau économique de son industrie cinématographique. Le calcul n’est valable que pour une année donnée et, depuis plusieurs années, le temps mis par le ministère des Finances russe pour débloquer l’argent nécessaire dépassait ce temps de validité et rendait ainsi l’adhésion impossible. Cette année enfin les délais ont été respectés par le ministère des Finances et l’adhésion a eu lieu début mars. Pour moi, cela va en effet dans la bonne direction. C’est censé accroître le nombre de coproductions dans les deux sens, Russie-Europe et Europe-Russie. Jusqu’à présent, pour participer à une coproduction dans le cadre d’Eurimages, la Russie devait le faire de façon non apparente en investissant par l’intermédiaire d’un État coproducteur membre d’Eurimages. Ce fut le cas, par exemple, pour Triple agent d’Éric Rohmer où l’argent russe est dans la part française.

Quant à Rodnianski, c’est une histoire personnelle. Il s’est toujours tourné vers l’Europe centrale germanophone, car il est lui-même germanophone bilingue. Il se dit depuis longtemps que le marché russe est un marché trop difficile, sclérosé et compliqué et il se tourne aujourd’hui vers l’étranger. Cela lui permet d’avoir une vision paneuropéenne, car A COMPANY est présente dans divers pays d’Europe via des accords-cadres avec des distributeurs locaux. Mais son action est personnelle et strictement privée. De plus, en marge de son intérêt pour la distribution au niveau européen, il produit parallèlement un film américain - le nouveau film de Billy Bob Thornton avec Dennis Quaid, Pierce Brosnan, Renée Zellwegger et Robert Duvall - qui, compte tenu de la qualité du réalisateur et du casting mondialement connu, peut lui faire gagner de l’argent avec un investissement dans un film d’auteur qui n’est pas énorme.


Nous avons toujours parlé des différents moyens pour les films russes d’arriver dans les salles ici en Europe : coproduction, participation aux festivals et maintenant Alexandre Rodnianski a inventé, ou plutôt utilisé, un troisième moyen, c'est-à-dire acheter une grande société européenne. Bien que je ne pense pas que la distribution des films russes en Europe soit son objectif principal.

L’objectif est aussi de faire venir avec A COMPANY plus de films européens en Russie. Je ne pense pas que son but essentiel soit la diffusion de films russes en Europe. Mais aujourd’hui une société comme A COMPANY commence à avoir un catalogue de films important sur beaucoup de territoires, cela représente beaucoup d’argent et beaucoup de possibilités de générer des recettes à partir des ventes télé et de DVD. Mais en tout cas ce n’est pas l’État russe qui est derrière tout cela : c’est Rodnianski et son initiative personnelle.


Y aura-t-il une présentation du nouveau Fonds du soutien au cinéma russe à Cannes ?

Oui, sans doute. Mais, pour l’instant, on en est aux agendas. Il y aura aussi l’Académie franco-russe du cinéma dont on va parler.

C’est une idée de Pavel Lounguine qui a été entérinée lors de la venue de Nicolas Sarkozy à Saint-Pétersbourg en juin 2010. Actuellement, en France, dans le domaine du cinéma, il n’existe qu’une académie financée par l’argent du compte de soutien du CNC : c’est l’académie franco-allemande – qui, d’ailleurs, fonctionne bien. Pour l’instant, il n’y a pas d’argent de l’État prévu pour cette académie franco-russe. La situation est politiquement délicate car il y a beaucoup d’autres pays étrangers qui réalisent actuellement davantage de coproductions avec la France que la Russie et souhaiteraient la création d’académies analogues. Le problème du financement n’est pas encore totalement résolu. Il semblerait qu’il soit plus avancé côté russe que côté français, mais cela doit être un financement à parité. L’Institut français [anciennement Culture France] pourrait participer.

Cependant, le projet se développe intelligemment. Il ne concerne pas que la production, mais aussi la distribution, la promotion, le patrimoine et la formation. Ces volets sont en train d’être explorés. Une réunion de travail est prévue le 13 mai à Cannes avec les Russes et les Français pour mettre au point les statuts. Et l’annonce officielle devrait être faite dans le cadre du festival de Saint-Pétersbourg qui aura lieu du 10 au 15 juillet. L’Académie est censée être composée de différentes commissions d’experts, de professionnels et de fonctionnaires des deux pays qui se réuniraient une ou deux fois par an. On est actuellement en train de travailler là-dessus. L’objectif est de promouvoir le cinéma russe en France et le cinéma français en Russie, de développer les coproductions, développer les échanges entre cinémathèques, patrimoines, échanges entre étudiants, écoles de cinéma… Le projet est intéressant, mais il faut maintenant le concrétiser, préciser les formes et conditions des échanges, préciser quels types de coproductions on veut favoriser et quel type d’aide fournira l’Académie : aide financière ou seulement label ? Tout cela est en cours d’étude.


Quels films russes de 2010 vous paraissent intéressants ?

J’ai dû voir cette année 54 films de l’ex-URSS et c’est sans doute l’une des années où j’en ai recommandé le moins. Il y a le premier film d’Anguelina Nikonova, Portrait entre chien et loup (Портрет в сумерках), auquel je tenais beaucoup ! Le film de Zviaguintsev, Elena, est ce que j’ai vu de mieux depuis longtemps. C’est à la fois un très bon film et une très bonne photographie du Moscou d’aujourd’hui et de la Russie à deux vitesses. C’est pour moi un film important dans l’histoire du cinéma russe.

Malheureusement, j’ai vu beaucoup de films décevants. On peut, parfois, comprendre les politiciens qui se demandent pourquoi l’État a mis de l’argent dans certains films…
Nikolaï Khomeriki a fait un film en noir et blanc qui s’appelle Cœur (Сердце) qui est vraiment bien, plus profond et moins noir que ses précédents et plus accessible. Il y a aussi un cycle de cinq courts-métrages de cinq minutes chacun produit par Artiom Vassiliev, Эксперимент 5ive. Les films sont réalisés par Zviaguintsev, Bouslov, Volochine, Veledinski, Popogrebski. À part un qui ne m’a pas beaucoup plu, les autres sont vraiment bien. Le cycle a été financé par Wrigley (marchand de chewing-gum) qui a exigé que les films soient diffusés sur internet. Voyez-les donc : ils valent le détour ! [On peut les voir sur snimifilm.com]


On verra certainement plusieurs de ces films au programme du festival Kinotavr cet été. Il semble que le comité de sélection ait fait le même constat que vous : est-ce pour cette raison qu’ils ont décidé de s’internationaliser et d’admettre dans le programme des films étrangers ?

Non, ils ont seulement décidé d’ouvrir le festival à tous les films tournés en langue russe. Cela permet d’inclure dans le programme des films qui ne sont pas russes comme par exemple le film de Loznitsa My Joy, dont la présence, l’année dernière au festival, avait été discutée.


Et le film de Guerman n’est toujours pas prêt ?

Il est quasiment fini, il sera prêt pour l’année prochaine mais il n’est pas sûr que Guerman veuille être en compétition. Il préférerait vraisemblablement une projection spéciale.hors compétition.



Films remarqués :

Elena (Елена) de Andreï Zviaguintsev
L'Ange de l'enfer (Портрет в сумерках) de Anguelina Nikonova
Cœur (Сердце) de Nikolaï Khomeriki
Experiment 5 (Эксперимент 5ive) cinq courts métrages de Zviaguintsev, Bouslov, Volochine, Veledinski, Popogrebski.



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[1] et [2] Le 30 mai 2011, le Conseil de surveillance (Popetchitel'skij sovet) du Fonds a entériné la nouvelle liste des sociétés-leaders pour l'année 2011.
Il n'y en a plus que 7. Ont disparu de la liste : Bazelevs [société de Timour Bekmambetov] et Rekoun [Société de Valeri Todorovski]. A fait son entrée : Tabbak qui est l'une des autres sociétés de production de Timour Bekmambetov. Donc, de fait, seule la société de Valeri Todorovski est écartée.
Les critères de sélection ont été affinés par rapport à l'an passé: ce ne sont plus les résultats des films en salle sur 10 ans, mais seulement sur 5 ans, qui sont pris en compte; et seules les sociétés ayant été véritablement producteurs délégués sur les films ont été retenues (et non la participation à la production de films de ces sociétés). Le Fonds avait reçu 26 demandes.

Les sept sociétés-leaders pour 2011 sont donc :
«СТВ» de Sergueï Selianov, «Direktsia Kino» d’Anatoli Maksimov, «TriTé» de Nikita Mikhalkov, «Central Partnership» de Mark Lolo, «Profit» d’Igor Tolstounov, «Art Pictures» de Fiodor Bondartchouk, «Tabbak» de Timour Bekmambetov